Compte rendu de programme : D’ailleurs, qu’entendons-nous par diversité?  (panel no 6)

Publié par
jeudi, 14 décembre 2017
Publié dans Dernières nouvelles

42e Conférence annuelle
Panel No 6 : D’ailleurs, qu’entendons-nous par diversité?  (mardi 3 octobre 2017)

Compte rendu par Me Ariane Jamin, étudiante à la maîtrise, Faculté de droit de l’Université de Montréal (PDF)

Mme Rachida Azdouz
Afin de répondre à la question : « de quelle diversité parle-t-on? », Mme Rachida Azdouz adopte une perspective québécoise. Plus particulièrement, elle analyse comment le discours sur la diversité a évolué depuis la Commission Bouchard-Taylor et comment l’opposition entre multiculturalisme et interculturalisme s’est transformée en opposition entre inclusifs et identitaires.

Mme Azdouz revient sur les concepts qui alimentent le débat sur la diversité au Québec. Elle constate le glissement intervenu lors de la Commission Bouchard-Taylor dans le débat sur la diversité. L’opposition entre la perspective canadienne et la perspective québécoise s’est alors transformée en opposition entre une perspective inclusive et une perspective identitaire. Avant la Commission Bouchard-Taylor, la perspective canadienne défendait un idéal multiculturel, articulé autour de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte canadienne ») et faisait la promotion d’une coexistence pacifique (du « vivre et laisser vivre »). La perspective québécoise, quant à elle, défendait un idéal interculturel, articulé autour de valeurs communes (ne se restreignant pas aux valeurs incluses dans les chartes) et recherchait la cohésion sociale (le « vivre avec »). Cette dernière perspective avait ainsi comme ambition de bâtir, à travers le dialogue, un projet commun, sachant que celui-ci pourrait se heurter à des enjeux de valeur. Elle précise, par ailleurs, que ces deux perspectives ne correspondent aucunement à une division entre fédéralistes et souverainistes.

Depuis la Commission Bouchard-Taylor, toutefois, ce débat s’est repositionné et oppose désormais une perspective inclusive à une perspective identitaire. La perspective inclusive adopte un discours mettant en évidence les systèmes de domination et d’oppression. Ces systèmes doivent être démantelés au moyen d’une approche antiraciste, anticolonialiste ou intersectionnelle, afin d’offrir réparation. Cette perspective conçoit la diversité ethnique comme incluant les Premières Nations et les immigrants de toutes générations. Cette perspective est ainsi influencée par le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis et les Indigènes de la République, en France. Pour sa part, la perspective identitaire conçoit l’existence d’une majorité historique, à laquelle s’ajoute une diversité ethnique composée des nouveaux immigrants. Selon Mme Azdouz, cette perspective identitaire tente d’intégrer la diversité en misant sur ce qui rassemble la société d’accueil, et ce, par le biais d’une approche civique influencée par le républicanisme laïc français.

Mme Azdouz conclut en observant la polarisation du débat à l’heure actuelle, chacun de ces modèles traversant par ailleurs une crise. Dans ce contexte, elle constate une confusion entre le racisme, la discrimination systémique, les conflits de droits et les conflits de valeurs.

Me Fareen Jamal
Me Fareen Jamal répond quant à elle à la question du panel en parlant de son expérience au Conciliation and Arbitration Board of Canada, un organisme volontaire de résolution des conflits ayant pour mandat la préservation de l’harmonie au sein de la communauté ismaélienne.

Qui sont les Ismaéliens ? Me Jamal explique qu’il s’agit d’adeptes de l’islam chiite qui ont pour chef spirituel l’Aga Khan. Ils seraient aujourd’hui plus de 15 millions, répartis dans plus de 30 pays à travers le monde, dont 100 000 au Canada.

Au Canada, le Conciliation and Arbitration Board est basé sur un modèle destiné à garantir une bonne qualité de vie à sa communauté. Dans ce but, le Conseil a mis en place plusieurs stratégies dont, notamment, la résolution et la prévention des conflits. En matière de résolution des conflits, le conseil applique les lois canadiennes en se basant sur une éthique de fraternité, d’unité, de respect et de tolérance. Le Conseil offre plusieurs formations à ses médiateurs, nommés pour un mandat de trois ans, en matière de dépistage de la violence domestique ou de maladies mentales.

Selon Me Jamal, les membres de la communauté choisissent de faire appel au service de médiation offert puisque l’intervention de la cour n’est pas toujours la plus appropriée. Il s’agit par ailleurs d’un service gratuit, sensible à la réalité culturelle de la communauté, confidentiel et rapide. Guidé par son mandat de préserver l’harmonie au sein de la communauté, le Conseil se soucie de considérer le point de vue des parties quant à leur identité, tout en prenant en compte l’impact du conflit sur l’entourage. Le Conseil offre également un support qui se poursuit après la résolution des conflits, sous la forme de thérapie entre autres, et ce, dans une optique de rétablissement.

Me Alexander Pless
Me Alexander Pless aborde quant à lui la question de la diversité en se demandant comment, dans une perspective fédéraliste, la constitution canadienne est parvenue à soutenir un pluralisme juridique. Si l’on reformule cette question : comment la société canadienne, une « community of communities », a-t-elle conçu cette diversité qui la compose et, par ailleurs, comment cette conception a-t-elle évolué depuis la Confédération ?

Me Pless décrit les deux modèles qui combinés, forment la Constitution canadienne. Le premier modèle est celui établi par la Loi constitutionnelle de 1867 qui organise le partage des compétences entre le fédéral et les provinces. L’objectif d’un tel partage était d’assurer que les valeurs locales continueraient à s’exprimer dans chaque province et, plus spécifiquement, d’assurer que la langue, la culture et la tradition juridique de la minorité canadienne-française survivraient à l’intérieur de la Confédération canadienne. À cette époque, le principe de la protection des minorités promettait davantage une protection de « la » minorité. Le fédéralisme a ainsi introduit un pluralisme juridique et, à certains égards, un pluralisme de valeurs, en permettant à chaque province d’édicter ses propres lois et donc d’exprimer différentes valeurs.

Le deuxième modèle est, quant à lui, basé sur la Charte canadienne qui garantit des droits individuels qui sont opposables aux intérêts de l’État, autant à l’État fédéral que provincial. Les deux modèles sont ainsi en tension, le fédéralisme visant à permettre une distinction géographique et la Charte garantissant une série de droits fondamentaux aux personnes, indépendamment de leur province de résidence. La Cour suprême a d’ailleurs eu à se prononcer sur des cas où il y avait conflit direct entre le fédéralisme et la Charte canadienne. À titre d’exemple, dans R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254, la question était de savoir si l’omission par l’Ontario d’autoriser un « programme de mesure de rechange » pour les jeunes contrevenants, alors qu’il en existait un dans toutes les autres provinces, portait atteinte au droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte. La Cour a répondu avec force que « le traitement inégal qui résulte uniquement de l’exercice par les législateurs provinciaux de leurs compétences légitimes ne saurait, du seul fait qu’il crée des distinctions fondées sur la province de résidence, être attaqué sur le fondement du paragraphe 15(1) ». Plus simplement, la Charte ne peut servir à court-circuiter le fédéralisme.

Or, dans l’optique de concilier ces deux modèles, Me Pless se demande s’il est possible que la Charte canadienne s’inspire du modèle fédéraliste, celui-ci ayant réussi à asseoir le pluralisme canadien, afin de reconnaître une diversité de valeurs et de droits fondamentaux ? En réponse à cette question, Me Pless relève deux obstacles qui s’opposeraient à un tel métissage. Le premier obstacle est que les droits garantis sont définis de façon individuelle et non de façon collective. Le second obstacle est que ces droits, en particulier les droits religieux, sont interprétés sur une base subjective. En conséquence, un droit reconnu à un membre d’une communauté appartient uniquement à ce membre et non à la communauté. Par exemple, le droit pour des juifs orthodoxes de construire une souccah, en dépit de la déclaration de copropriété de leur immeuble, n’appartient qu’à eux. Cela est vrai, notamment, parce que la jurisprudence exige la démonstration d’une croyance sincère, évaluée au cas par cas (Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551).

Malgré ces obstacles, la Charte peut-elle être utilisée de manière à assurer un pluralisme de valeurs ? L’objectif serait ainsi d’accepter que différentes communautés puissent avoir des conceptions différentes et parfois incompatibles du « bien ». Pour ajouter une dimension collective aux droits garantis par la Charte, nous pourrions envisager un forum chargé d’évaluer objectivement des valeurs communes. Alexander Pless donne l’exemple des droits autochtones qui exigent de démontrer objectivement une pratique historique, ou du droit de grève, qui suppose l’existence d’une association. Or, pourquoi s’interroger sur cet ajout d’une dimension collective et objective aux droits ? Pour Alexander Pless, il s’agit de voir comment les tribunaux peuvent participer à faire évoluer positivement la société, soit à générer des bénéfices pour la société en général.

* * *
Ce compte rendu a été publié par l’Institut canadien d’administration de la justice le 14 décembre 2017, dans la foulée de sa 42e Conférence annuelle portant sur la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice, intitulée L’énigme de la Charte canadienne des droits et libertés : le choc des droits et des valeurs dans la mosaïque culturelle canadienne. La conférence s’est déroulée à Montréal du 2 au 4 octobre 2017, sous la présidence d’honneur de la juge en chef du Québec, l’honorable Nicole Duval Hesler. Elle a réuni 160 participants, dont une quarantaine de conférenciers.

Pour faire part de vos commentaires, veuillez communiquer avec l’ICAJ par courriel à l’adresse suivante : icaj@ciaj-icaj.ca.

À propos de l'auteur

ICAJ

ICAJ

Fondé en 1974, l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) rassemble les individus et les institutions au service de l’administration de la justice et vise à promouvoir l’excellence en favorisant l’acquisition de connaissances, la formation et l’échange d’idées. L’ICAJ offre de la formation sur mesure et des programmes multidisciplinaires conçus pour tous les acteurs du système de justice, rédige des rapports et émet des recommandations pouvant servir d’assise au changement.