Compte rendu de programme : À la croisée des politiques, du système de justice et de la diversité culturelle : le profilage racial (panel no 7)

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mercredi, 17 janvier 2018
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42e Conférence annuelle
Panel no 7 : À la croisée des politiques, du système de justice et de la diversité culturelle : le profilage racial  (mercredi 4 octobre 2017)

Compte rendu réalisé par Me Judith Cardin Poissant, étudiante à la maîtrise, Faculté de droit de l’Université de Montréal (PDF)

Le panel intitulé « À la croisée des politiques, du système de justice et de la diversité culturelle : le profilage racial » a été présenté en cette troisième journée de la Conférence annuelle de l’ICAJ. L’honorable Shaun Nakatsuru de la Cour supérieure de l’Ontario a agi à titre de modérateur de la discussion entre les trois panélistes : Margaret Parsons, directrice exécutive et fondatrice de la Clinique juridique africaine canadienne ; Sandy Hudson étudiante à l’Université de Toronto et membre de la section torontoise de Black Lives Matter et Clive Weighill, chef de police du Service de police de Saskatoon depuis 2006.

Le fichage
La pratique du « carding », fichage en français, prend une place importante dans cette conférence qui traite de l’entrecroisement du droit criminel, des pratiques policières et du profilage racial. Avant toute chose, les panélistes l’ont définie et ont discuté de son usage par les corps policiers canadiens. Il s’agit d’une pratique controversée qui, selon Clive Weighill, permet aux policiers et aux policières d’accoster des personnes dans la rue sans motif. Les informations ainsi obtenues peuvent servir à résoudre des crimes et pourront par la suite être compilées dans une base de données. Le chef Weighill précise que l’entrée de ces informations dans les bases de données policières n’équivaut pas à un dossier criminel et ne sert pas non plus à vérifier si l’individu fiché en possède un. De plus, M. Weighill insiste sur le fait que les personnes fichées ne sont pas en état d’arrestation et ne sont donc pas contraintes à collaborer avec la police.

Margaret Parsons et Sandy Hudson jugent cette pratique illégale, discriminatoire et raciste. Devant la grande proportion d’Afro-Canadiens fichés (particulièrement les jeunes hommes), elles considèrent sans équivoque que le fichage est du profilage racial.

Le fichage est répandu au sein des corps policiers canadiens. La pratique est encadrée différemment selon les provinces et territoires. En Saskatchewan, elle fait l’objet d’une politique, alors qu’en Ontario, le gouvernement a adopté une réglementation qui vise à l’encadrer. Le Règlement de l’Ontario 58/161 sur la collecte de renseignements identificatoires dans certaines circonstances – interdiction et obligations en vigueur depuis 2016 régit les pratiques policières en matière de fichage. Son article 5 prévoit que l’agent de police ne peut pas demander à une personne des informations visant à l’identifier pour un motif basé sur la race, mais il peut, par exemple, se baser sur la couleur des yeux et des cheveux.

Art. 5
(2) Sans préjudice de ce qui pourrait constituer les renseignements supplémentaires requis aux termes du sous-alinéa (1) a) (iii), ces renseignements peuvent comprendre un ou plusieurs des éléments suivants :
a) l’apparence du particulier, y compris des renseignements sur ses vêtements, sa taille, son poids, la couleur de ses yeux, la couleur de ses cheveux ou sa coiffure ;

Mesdames Parsons et Hudson voient d’un mauvais œil cette nouvelle réglementation. Elles estiment que l’application du règlement à la communauté noire, constituée majoritairement de membres aux cheveux et aux yeux de la même couleur, permet tout de même le profilage. Selon elles, l’encadrement de pratiques discriminatoires et racistes n’est pas la solution. Au lieu de mettre en place des réglementations, les efforts gouvernementaux devraient plutôt porter sur la mise en place d’un système de dénonciation efficace et crédible à la portée des personnes qui se sentent discriminées.

Selon Margaret Parsons et Sandy Hudson, les personnes afro-canadiennes fichées savent qu’elles ont le droit de ne pas s’arrêter et de ne pas collaborer avec la police. Mais les deux femmes insistent pour dire que les personnes noires fichées ne se sentent pas toujours en droit de réclamer le respect de cette règle. Elles sentent que leur sécurité est en danger et prennent les moyens pour que leur interaction avec la police soit la plus brève possible.

Le profilage criminel
Margaret Parsons soutient que le profilage racial équivaut à du profilage criminel. Elle souligne que cela a été reconnu par la jurisprudence. Dans l’arrêt R. v. Brown2, la Cour d’appel de l’Ontario retient la définition de la Clinique juridique Africaine canadienne selon laquelle le profilage racial constitue du profilage criminel :

« Racial profiling is criminal profiling based on race. Racial or colour profiling refers to that phenomenon whereby certain criminal activity is attributed to an identified group in society on the basis of race or colour resulting in the targeting of individual members of that group. In this context, race is illegitimately used as a proxy for the criminality or general criminal propensity of an entire racial group ».

Il ressort des statistiques que les jeunes hommes afro-canadiens sont fichés dans une proportion plus grande que les autres Canadiens. La compilation de données fait en sorte que cette pratique devient équivaut en quelque sorte à de la surveillance de la communauté afro-canadienne.

Sandy Hudson insiste pour dire que le profilage racial doit être compris dans son contexte historique. Selon elle, le fichage est une pratique qui découle de l’esclavagisme et rappelle qu’il fut un temps où les personnes d’origine africaine pouvaient être arrêtées par la police afin de s’assurer qu’elles étaient bel et bien libres. Le profilage racial n’est donc pas un phénomène nouveau au Canada. D’ailleurs, il n’est pas pratiqué que par les corps policiers canadiens. Selon Sandy Hudson, les institutions canadiennes exercent aussi du profilage racial dans leurs prestations de service.

L’impact du profilage racial au sein des communautés afro-canadiennes
Les panélistes se sont intéressés aux effets du profilage racial et du fichage sur les communautés affectées. Sandy Hudson mentionne l’impact de la présence policière au sein des écoles qui ont une forte proportion d’élèves afro-canadiens. Si l’objectif est de créer un lien de confiance entre les jeunes et les corps policiers, le résultat est tout autre selon Mme Hudson. Les jeunes afro-canadiens se sentent observés au sein de leur environnement et constatent qu’ils reçoivent un traitement différent de celui réservé aux autres élèves.

Toujours selon Sandy Hudson, il faut légiférer pour mettre en place un système de dénonciation efficace, crédible et accessible aux communautés afro-canadiennes. Elle nous rappelle, en mentionnant sa propre expérience de fichage, que la dynamique de pouvoir est inégale entre l’agent de police et la personne fichée, surtout lorsqu’il s’agit d’un jeune afro-canadien.

Étant donné ce problème entre les communautés afro-canadiennes et les corps policiers, il faut se demander ce que représente la sécurité pour les communautés afro-canadiennes et comprendre qu’à l’heure actuelle la présence policière n’est pas une source de sécurité pour elles, mais bien une menace.

Le chef Clive Weighill est d’accord avec l’analyse de mesdames Parsons et Hudson quant aux problèmes que vivent les communautés afro-canadiennes. Il est à la recherche d’un compromis entre les préoccupations de ces communautés et la mission des corps policiers. Il propose d’embaucher davantage de personnes racisées. Il donne comme exemple l’augmentation de représentants des Peuples autochtones au sein de la police en Saskatchewan. Il estime que cela a eu pour effet de diminuer les préjugés véhiculés à leur égard. Sandy Hudson se montre critique par rapport à cette proposition. Selon elle, il faut qu’un changement de mentalité s’opère au sein de la police au Canada. Il faut se questionner sur les fondements des corps policiers, leurs fonctions et leur histoire. L’augmentation du nombre de personnes autochtones et afro-canadiennes n’aura pas pour conséquence de diminuer le profilage racial que vivent ces communautés si les fondements mêmes sur lesquels la police effectue son travail ne sont pas remis en question. Il ne faut pas des personnes qui entrent dans le moule imposé par les institutions canadiennes, il faut se rappeler qu’elles offrent un service à la population et ainsi cela requiert nécessairement de s’intéresser aux besoins des communautés.

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1Consulter le Règlement de l’Ontario 58/16
2 R. v. Brown, [2003] 64 OR (3 d) 161

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Ce compte rendu a été publié par l’Institut canadien d’administration de la justice le 17 janvier 2018, dans la foulée de sa 42e Conférence annuelle portant sur la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice, intitulée L’énigme de la Charte canadienne des droits et libertés : le choc des droits et des valeurs dans la mosaïque culturelle canadienne. La conférence s’est déroulée à Montréal du 2 au 4 octobre 2017, sous la présidence d’honneur de la juge en chef du Québec, l’honorable Nicole Duval Hesler. Elle a réuni 160 participants, dont une quarantaine de conférenciers.

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