Compte rendu de programme : Définir la diversité culturelle et religieuse : y a -t-il différentes avenues? (panel no 1)

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mercredi, 10 janvier 2018
Publié dans Dernières nouvelles

42e Conférence annuelle
Panel no 1 : Définir la diversité cuoturelle et religieuse dans l’adminsitration de la justice : Y a -t-il différentes avenues? (lundi 2 octobre 2017)

Compte rendu par Me Jie Zhu, étudiante à la maîtrise, Faculté de droit de l’Université de Montréal (PDF)

La 42conférence annuelle de l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) s’ouvre, le 2 octobre 2017, sur un effort concerté de définir la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice au Canada.

Quels sont les défis actuels du multiculturalisme pour l’administration de la justice ? Quels sont les facteurs de résistance ? Comment (ré)concilier les droits individuels et les droits collectifs, résoudre les conflits de valeurs plus ou moins intériorisés et redresser cette crise de perceptions — réciproque — à l’aune de la primauté du droit, tout en conservant un équilibre moral inhérent à l’idée de justice ? Autant de questionnements auxquels l’honorable Nicole Duval Hesler, juge en chef du Québec et présidente d’honneur de la conférence, nous invite à réfléchir pour mieux rebondir.

Dans cette optique, un effort concerté visant à définir les enjeux appelle au premier chef la participation d’acteurs qui ont été directement confrontés au système de justice, ainsi que des représentants de diverses communautés qui comptent sur le système de justice pour tenir les promesses d’égalité et de juste reconnaissance de la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Rodney D. Small
Rodney D. Small est originaire de Halifax. Aujourd’hui un ardent défenseur de sa communauté, Rodney D. Small a été l’adolescent protagoniste de l’affaire R. c. S. (R.D.) (1997) 3 R.C.S. 484 dans laquelle la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt de principe (1997) en matière de crainte raisonnable de partialité chez un juge d’instance. Dans cet arrêt, la Cour autorisait à prendre en considération la réalité sociale sous-jacente de façon à pouvoir mieux mesurer l’ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur la race dans une collectivité donnée, plus spécifiquement dans l’appréciation de témoignages contradictoires rendus, d’une part, par un policier blanc et d’autre part, un adolescent noir. Demeurant circonspect face aux différents intervenants et officiers de justice, M. Small livre un témoignage émouvant sur son enfance difficile au sein d’une famille monoparentale, privé de figure paternelle. Son père a été condamné à la prison à perpétuité. Il raconte son vécu dans une communauté très racialisée de Halifax, à la fois « bulldozed by the city » et confrontée à des interactions acrimonieuses avec la police, notamment en raison des problèmes de drogue et d’alcool qui déchirent les familles. Il relate les événements ayant mené à l’affaire R. c. S. (R.D.). Voulant s’enquérir des circonstances entourant l’arrestation d’un ami, M. Small se retrouve, à l’âge de 15 ans, inculpé de plusieurs infractions : entrave au travail des policiers, voies de fait contre un agent de la paix et résistance à sa propre arrestation. Malgré sa victoire judiciaire, M. Small constate que sa communauté voit toujours le système de justice comme une « bête » à combattre ou à éviter. Conclusion : « The system wasn’t set up for people like me ».

M. Gurbaj Singh Multani
À près de dix ans d’intervalle, l’affaire Multani (2006) est entendue par le plus haut tribunal du pays qui tranche en faveur du droit d’un élève de religion sikh orthodoxe de porter le kirpan à son école, dont le Code de vie prohibe le port d’armes. Les événements ont débuté alors que Gurbaj Singh Multani est âgé de 12 ans et a immigré au Canada depuis deux ans seulement. Un jour de novembre 2001, il joue au basketball dans la cour d’école avec des amis lorsqu’il laisse accidentellement tomber son kirpan, celui-là même qu’il a toujours porté à sa ceinture depuis trois mois, soit depuis son entrée à l’école publique francophone. De retour en classe, il est convoqué par la direction qui lui demande s’il porte une arme et, le cas échéant, s’il veut bien l’enlever pour rester à l’école, sinon, il devra rentrer chez lui. L’enfant de 12 ans répond qu’il ne porte pas d’arme et tente d’expliquer la symbolique du « kirpan », qui signifie d’une part, la miséricorde (« kirpa » ou mercy) et d’autre part, l’honneur (« aanaa »).
Malgré sa victoire devant la Cour supérieure en 2002, M. Multani a dû fréquenter l’école privée anglophone tout au long de sa saga judiciaire jusqu’à la Cour suprême du Canada. Malgré l’attitude de son école publique, les appels anonymes et les menaces de mort que sa famille et lui ont reçus tandis que leur cause cheminait dans l’arène judiciaire, M. Multani reste convaincu que « Canada is the safest place for religion », ajoutant : « I feel proud for being Canadian. I feel proud to be Sikh. »

Mme Sheema Khan
Mme Sheema Khan est originaire de Varanasi, en Inde. Elle tire profit de son héritage multiculturel pour partager certaines perspectives musulmanes sur l’administration de la justice. Mme Khan relève les enjeux entourant la nécessité, à la fois, de faire reconnaître et de ne pas faire reconnaître certaines spécificités culturelles par l’État aux fins de l’administration de la justice. D’une part, il est essentiel de permettre l’expression juste et équitable des personnes musulmanes afin que leur accessibilité à la justice ne soit pas entravée du fait qu’elles portent le voile. Il est tout aussi essentiel que la sécurité des membres de la communauté soit assurée par un corps policier prenant au sérieux les dénonciations pour crimes haineux, que les droits civils soient garantis par l’imposition de justes limites au pouvoir attentatoire de l’État et à la publicité des procès pour terrorisme. D’autre part, il revient à ce même système de justice de reconnaître de justes limites au devoir d’accommoder pour mieux jongler avec les tensions culturelles et condamner certaines pratiques discriminatoires, comme en témoignent les débats entourant l’instauration des tribunaux islamiques en Ontario, la théorie des crimes d’honneur que soulève l’affaire des sœurs Shafia et un controversé jugement rendu en 1994 sur les circonstances pouvant être considérées comme atténuantes lors d’une condamnation pour sodomie et agression sexuelle. Le relativisme culturel, c’est l’art du deux poids, deux mesures. Le message que nous laisse Mme Khan est toutefois optimiste : « If you fight long enough, justice will come ».

M. Jack Jedwab
Pour M. Jack Jedwab, président de l’Association d’études canadiennes, il est important de ne pas présumer de l’existence d’une polarisation, du « nous contre eux », de la « majorité contre la minorité », de la « liberté individuelle contre les valeurs majoritaires », et éventuellement de ne pas cristalliser cette polarisation. L’idée sous-jacente à cette catégorisation réside dans le fait que les personnes qui requièrent un accommodement représentent une menace pour la cohésion sociale. Tout comme il est faux d’affirmer que le respect des libertés individuelles va nécessairement à l’encontre des valeurs majoritaires, il est hâtif de présumer d’une cohésion absolue des valeurs partagées au sein de groupes majoritaires ou minoritaires, de même qu’au sein de la société canadienne au sens large. Dans les circonstances, une Charte des valeurs n’apporterait pas de plus-value au débat tant que les valeurs y restent décrites en des termes vagues et abstraits. Il en va de même des libertés et droits fondamentaux qui, sans être a priori porteurs d’un sens qui est tout à fait indépendant des valeurs en cours, sont déjà interprétés très largement par les tribunaux. Il faudrait également prendre garde de discuter sans définir au préalable les termes employés, comme la laïcité ou le sécularisme, dont il existe plusieurs modèles. Le défi est de trouver des solutions qui soient à la fois cohérentes, pratiques et constructives, au-delà de l’ambiguïté sémantique.

Mme Viviane Michel
Mme Viviane Michel, présidente des Femmes autochtones du Québec commence son allocution en innu pour démontrer la différence de traitement des langues autochtones par rapport au bilinguisme officiel. Une différence de traitement qui se reflète à tous les niveaux de la société. Son constat est catégorique : le système de justice n’est pas représentatif des perceptions autochtones. D’une part, les accusés autochtones sont victimes de profilage racial par la police, puis par les tribunaux. Elle en veut pour preuve la crise qui sévit à Val-d’Or et l’enquête déclenchée pour faire la lumière sur les relations entre Peuples Autochtones et la police. D’autre part, lorsque les victimes autochtones dénoncent des situations, elles sont, selon Mme Michel, traitées avec moins de professionnalisme et d’empathie que les victimes québécoises par exemple ; elles sont considérées comme moins crédibles, les signalements tendent à être minimisés et les enquêtes, retardées. Cette absence de garantie dans le traitement perpétue l’attitude très méfiante des Autochtones envers les autorités, dans le contexte d’une discrimination systémique et d’une violence institutionnelle qui tardent à se résorber. Sans faire le jeu de la victimisation, Mme Michel souhaite que les choses changent : « J’ai besoin que des gens s’adaptent à nous aussi, à notre réalité ». Dans la langue innue, le terme « innu » signifie tout simplement être humain, alors que les personnes autochtones sont encore couramment désignées comme faisant partie de « tribus », « nations » ou « peuples » autochtones. Le symbolique linguistique n’est pas neutre : conjugué au contexte, ce glissement sémantique risque d’être mal interprété, comme si « on ne valait pas la peine d’être protégé ».

***
Comme nous y exhorte M. Jedwab, il est essentiel, dans cette tentative de définition, ne pas ériger une opposition tranchée entre, d’un côté, la diversité — religieuse ou culturelle — et, de l’autre côté, l’administration de la justice. Comme le titre du panel le suggère, le multiculturalisme ne doit pas être vu comme un problème à résoudre ou une « excroissance » à laquelle s’adapter, mais doit faire partie intégrante de l’administration de la justice, afin de lui inspirer un souffle nouveau qui se nourrit des perspectives des différents acteurs venant parfaire tour à tour les lignes d’une justice qui s’approche davantage des idéaux de Justice comme valeur universelle.

* * *
Ce compte rendu a été publié par l’Institut canadien d’administration de la justice le 10 janvier 2018, dans la foulée de sa 42e Conférence annuelle portant sur la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice, intitulée L’énigme de la Charte canadienne des droits et libertés : le choc des droits et des valeurs dans la mosaïque culturelle canadienne. La conférence s’est déroulée à Montréal du 2 au 4 octobre 2017, sous la présidence d’honneur de la juge en chef du Québec, l’honorable Nicole Duval Hesler. Elle a réuni 160 participants, dont une quarantaine de conférenciers.

Pour faire part de vos commentaires, veuillez communiquer avec l’ICAJ par courriel à l’adresse suivante : icaj@ciaj-icaj.ca.

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Compte rendu de programme : Définir la diversité culturelle et religieuse : y a -t-il différentes avenues? (panel n<sup>o</sup> 1)

Compte rendu de programme : Définir la diversité culturelle et religieuse : y a -t-il différentes avenues? (panel no 1)

42e Conférence annuelle
Panel no 1 : Définir la diversité cuoturelle et religieuse dans l'adminsitration de la justice : Y a -t-il différentes avenues? (lundi 2 octobre 2017)

Compte rendu par Me Jie Zhu, étudiante à la maîtrise, Faculté de droit de l’Université de Montréal (PDF)

La 42conférence annuelle de l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) s’ouvre, le 2 octobre 2017, sur un effort concerté de définir la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice au Canada.

Quels sont les défis actuels du multiculturalisme pour l’administration de la justice ? Quels sont les facteurs de résistance ? Comment (ré)concilier les droits individuels et les droits collectifs, résoudre les conflits de valeurs plus ou moins intériorisés et redresser cette crise de perceptions — réciproque — à l’aune de la primauté du droit, tout en conservant un équilibre moral inhérent à l’idée de justice ? Autant de questionnements auxquels l’honorable Nicole Duval Hesler, juge en chef du Québec et présidente d’honneur de la conférence, nous invite à réfléchir pour mieux rebondir.

Dans cette optique, un effort concerté visant à définir les enjeux appelle au premier chef la participation d’acteurs qui ont été directement confrontés au système de justice, ainsi que des représentants de diverses communautés qui comptent sur le système de justice pour tenir les promesses d’égalité et de juste reconnaissance de la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Rodney D. Small
Rodney D. Small est originaire de Halifax. Aujourd’hui un ardent défenseur de sa communauté, Rodney D. Small a été l’adolescent protagoniste de l’affaire R. c. S. (R.D.) (1997) 3 R.C.S. 484 dans laquelle la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt de principe (1997) en matière de crainte raisonnable de partialité chez un juge d’instance. Dans cet arrêt, la Cour autorisait à prendre en considération la réalité sociale sous-jacente de façon à pouvoir mieux mesurer l’ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur la race dans une collectivité donnée, plus spécifiquement dans l’appréciation de témoignages contradictoires rendus, d’une part, par un policier blanc et d’autre part, un adolescent noir. Demeurant circonspect face aux différents intervenants et officiers de justice, M. Small livre un témoignage émouvant sur son enfance difficile au sein d’une famille monoparentale, privé de figure paternelle. Son père a été condamné à la prison à perpétuité. Il raconte son vécu dans une communauté très racialisée de Halifax, à la fois « bulldozed by the city » et confrontée à des interactions acrimonieuses avec la police, notamment en raison des problèmes de drogue et d’alcool qui déchirent les familles. Il relate les événements ayant mené à l’affaire R. c. S. (R.D.). Voulant s’enquérir des circonstances entourant l’arrestation d’un ami, M. Small se retrouve, à l’âge de 15 ans, inculpé de plusieurs infractions : entrave au travail des policiers, voies de fait contre un agent de la paix et résistance à sa propre arrestation. Malgré sa victoire judiciaire, M. Small constate que sa communauté voit toujours le système de justice comme une « bête » à combattre ou à éviter. Conclusion : « The system wasn’t set up for people like me ».

M. Gurbaj Singh Multani
À près de dix ans d’intervalle, l’affaire Multani (2006) est entendue par le plus haut tribunal du pays qui tranche en faveur du droit d’un élève de religion sikh orthodoxe de porter le kirpan à son école, dont le Code de vie prohibe le port d’armes. Les événements ont débuté alors que Gurbaj Singh Multani est âgé de 12 ans et a immigré au Canada depuis deux ans seulement. Un jour de novembre 2001, il joue au basketball dans la cour d’école avec des amis lorsqu’il laisse accidentellement tomber son kirpan, celui-là même qu’il a toujours porté à sa ceinture depuis trois mois, soit depuis son entrée à l’école publique francophone. De retour en classe, il est convoqué par la direction qui lui demande s’il porte une arme et, le cas échéant, s’il veut bien l’enlever pour rester à l’école, sinon, il devra rentrer chez lui. L’enfant de 12 ans répond qu’il ne porte pas d’arme et tente d’expliquer la symbolique du « kirpan », qui signifie d’une part, la miséricorde (« kirpa » ou mercy) et d’autre part, l’honneur (« aanaa »).
Malgré sa victoire devant la Cour supérieure en 2002, M. Multani a dû fréquenter l’école privée anglophone tout au long de sa saga judiciaire jusqu’à la Cour suprême du Canada. Malgré l’attitude de son école publique, les appels anonymes et les menaces de mort que sa famille et lui ont reçus tandis que leur cause cheminait dans l’arène judiciaire, M. Multani reste convaincu que « Canada is the safest place for religion », ajoutant : « I feel proud for being Canadian. I feel proud to be Sikh. »

Mme Sheema Khan
Mme Sheema Khan est originaire de Varanasi, en Inde. Elle tire profit de son héritage multiculturel pour partager certaines perspectives musulmanes sur l’administration de la justice. Mme Khan relève les enjeux entourant la nécessité, à la fois, de faire reconnaître et de ne pas faire reconnaître certaines spécificités culturelles par l’État aux fins de l’administration de la justice. D’une part, il est essentiel de permettre l’expression juste et équitable des personnes musulmanes afin que leur accessibilité à la justice ne soit pas entravée du fait qu’elles portent le voile. Il est tout aussi essentiel que la sécurité des membres de la communauté soit assurée par un corps policier prenant au sérieux les dénonciations pour crimes haineux, que les droits civils soient garantis par l’imposition de justes limites au pouvoir attentatoire de l’État et à la publicité des procès pour terrorisme. D’autre part, il revient à ce même système de justice de reconnaître de justes limites au devoir d’accommoder pour mieux jongler avec les tensions culturelles et condamner certaines pratiques discriminatoires, comme en témoignent les débats entourant l’instauration des tribunaux islamiques en Ontario, la théorie des crimes d’honneur que soulève l’affaire des sœurs Shafia et un controversé jugement rendu en 1994 sur les circonstances pouvant être considérées comme atténuantes lors d’une condamnation pour sodomie et agression sexuelle. Le relativisme culturel, c’est l’art du deux poids, deux mesures. Le message que nous laisse Mme Khan est toutefois optimiste : « If you fight long enough, justice will come ».

M. Jack Jedwab
Pour M. Jack Jedwab, président de l’Association d’études canadiennes, il est important de ne pas présumer de l’existence d’une polarisation, du « nous contre eux », de la « majorité contre la minorité », de la « liberté individuelle contre les valeurs majoritaires », et éventuellement de ne pas cristalliser cette polarisation. L’idée sous-jacente à cette catégorisation réside dans le fait que les personnes qui requièrent un accommodement représentent une menace pour la cohésion sociale. Tout comme il est faux d’affirmer que le respect des libertés individuelles va nécessairement à l’encontre des valeurs majoritaires, il est hâtif de présumer d’une cohésion absolue des valeurs partagées au sein de groupes majoritaires ou minoritaires, de même qu’au sein de la société canadienne au sens large. Dans les circonstances, une Charte des valeurs n’apporterait pas de plus-value au débat tant que les valeurs y restent décrites en des termes vagues et abstraits. Il en va de même des libertés et droits fondamentaux qui, sans être a priori porteurs d’un sens qui est tout à fait indépendant des valeurs en cours, sont déjà interprétés très largement par les tribunaux. Il faudrait également prendre garde de discuter sans définir au préalable les termes employés, comme la laïcité ou le sécularisme, dont il existe plusieurs modèles. Le défi est de trouver des solutions qui soient à la fois cohérentes, pratiques et constructives, au-delà de l’ambiguïté sémantique.

Mme Viviane Michel
Mme Viviane Michel, présidente des Femmes autochtones du Québec commence son allocution en innu pour démontrer la différence de traitement des langues autochtones par rapport au bilinguisme officiel. Une différence de traitement qui se reflète à tous les niveaux de la société. Son constat est catégorique : le système de justice n’est pas représentatif des perceptions autochtones. D’une part, les accusés autochtones sont victimes de profilage racial par la police, puis par les tribunaux. Elle en veut pour preuve la crise qui sévit à Val-d’Or et l’enquête déclenchée pour faire la lumière sur les relations entre Peuples Autochtones et la police. D’autre part, lorsque les victimes autochtones dénoncent des situations, elles sont, selon Mme Michel, traitées avec moins de professionnalisme et d’empathie que les victimes québécoises par exemple ; elles sont considérées comme moins crédibles, les signalements tendent à être minimisés et les enquêtes, retardées. Cette absence de garantie dans le traitement perpétue l’attitude très méfiante des Autochtones envers les autorités, dans le contexte d’une discrimination systémique et d’une violence institutionnelle qui tardent à se résorber. Sans faire le jeu de la victimisation, Mme Michel souhaite que les choses changent : « J’ai besoin que des gens s’adaptent à nous aussi, à notre réalité ». Dans la langue innue, le terme « innu » signifie tout simplement être humain, alors que les personnes autochtones sont encore couramment désignées comme faisant partie de « tribus », « nations » ou « peuples » autochtones. Le symbolique linguistique n’est pas neutre : conjugué au contexte, ce glissement sémantique risque d’être mal interprété, comme si « on ne valait pas la peine d’être protégé ».

***
Comme nous y exhorte M. Jedwab, il est essentiel, dans cette tentative de définition, ne pas ériger une opposition tranchée entre, d’un côté, la diversité — religieuse ou culturelle — et, de l’autre côté, l’administration de la justice. Comme le titre du panel le suggère, le multiculturalisme ne doit pas être vu comme un problème à résoudre ou une « excroissance » à laquelle s’adapter, mais doit faire partie intégrante de l’administration de la justice, afin de lui inspirer un souffle nouveau qui se nourrit des perspectives des différents acteurs venant parfaire tour à tour les lignes d’une justice qui s’approche davantage des idéaux de Justice comme valeur universelle.

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Ce compte rendu a été publié par l’Institut canadien d’administration de la justice le 10 janvier 2018, dans la foulée de sa 42e Conférence annuelle portant sur la diversité culturelle et religieuse dans l’administration de la justice, intitulée L’énigme de la Charte canadienne des droits et libertés : le choc des droits et des valeurs dans la mosaïque culturelle canadienne. La conférence s’est déroulée à Montréal du 2 au 4 octobre 2017, sous la présidence d’honneur de la juge en chef du Québec, l’honorable Nicole Duval Hesler. Elle a réuni 160 participants, dont une quarantaine de conférenciers.

Pour faire part de vos commentaires, veuillez communiquer avec l’ICAJ par courriel à l’adresse suivante : icaj@ciaj-icaj.ca.