Imaginez un instant…

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vendredi, 15 septembre 2017
Publié dans Dernières nouvelles

Imaginez un instant…

Imaginez un instant qu’après mûre réflexion, vous ayez résolu de porter un vêtement très apparent, un châle, par exemple. Le port de ce châle représente quelque chose de très important pour vous. En votre âme et conscience, vous devez le porter. La plupart des gens auront peut-être de la difficulté à s’identifier à une telle conviction. Voyez tout de même si vous pouvez vous mettre dans la peau de cette personne. Si vous êtes religieux, vous pourriez comparer cela au fait de porter le turban ou la kippa.

Même si ce vêtement constitue un repère visuel qui vous différencie des autres, vous voulez absolument le porter. Ce faisant, vous ne portez préjudice à personne. Vous ne vous attendez pas non plus à ce que les autres fassent comme vous. Cependant, beaucoup se font des idées à votre sujet à cause de cet élément de votre tenue. Ils pensent que vous avez subi un lavage de cerveau et que vous êtes incapable de réfléchir par vous-même. Ils pensent également que ce châle est un symbole de violence, de haine et de mise à l’écart. Selon eux, vous ne souhaitez pas vous mêler à la société qui vous entoure, alors que pour vous, il s’agit simplement de porter les vêtements de votre choix. Parce que votre châle est associé à des communautés racialisées, certains vous disent même de retourner dans votre pays. Bien que dans certaines parties du monde, l’État puisse obliger certaines personnes à porter ce châle, vous vous demandez en quoi cela peut bien vous concerner, vous qui avez choisi de le porter.

Comme si cela n’était pas suffisant, plusieurs gouvernements, y compris le vôtre, sont le théâtre de débats musclés au sujet de ce châle et prennent des mesures pour en interdire le port. En effet, au Canada, il vous est interdit de témoigner en cour si le portez, ce qui limite sérieusement votre accès à la justice. De plus, le gouvernement canadien a aussi tenté de limiter l’accession à la citoyenneté et le droit de vote pour les personnes qui le portent. Dans l’une de ses provinces, on continue de débattre pour décider si pouvez travailler dans la fonction publique ou encore recevoir des services gouvernementaux tout en portant votre châle. En France et en Belgique, les gens qui portent le châle comme vous ne peuvent accéder aux espaces publics. Cela signifie qu’ils ne peuvent ni travailler, ni voyager, ni s’instruire, ni accéder au système de santé, ni même simplement socialiser ou circuler librement. Et la Cour européenne des droits de l’homme a maintenu ces lois discriminatoires ! Aujourd’hui, des gens ordinaires ont pris sur eux d’agir en policiers et de faire respecter ces lois par le biais de violations des droits de la personne et du harcèlement.

Mon analogie n’est pas parfaite. Je parle évidemment des femmes musulmanes qui choisissent de couvrir leur visage en portant le niqab ou le voile intégral. Ces femmes ont fait les frais de nombreuses politiques d’exclusion et de lois visant à restreindre leur capacité à vivre librement. Les femmes musulmanes qui se couvrent le visage suscitent des réactions viscérales chez certaines personnes. Ces mêmes personnes qui, bien qu’ayant été exposées à diverses manières de vivre dans un environnement multiculturel, semblent avoir des vues très arrêtées sur la façon dont les femmes devraient se comporter pour mener une bonne vie. Les stéréotypes associés à ces femmes sont tout à fait contradictoires. D’une part, nous devons les protéger des hommes qui apparemment les obligent à porter le niqab. D’autre part, nous avons besoin de nous protéger de leurs manières faisant appel au radicalisme, à la méfiance et à la confrontation.

Lorsque les gouvernements, les politiciens et les juges dénoncent le niqab sous un éventail de prétextes douteux, enjoignant les femmes musulmanes à simplement retirer leur voile, ils attisent la méfiance du public envers les musulmans et les autres minorités religieuses et encouragent leur marginalisation. Les conceptions juridiques et législatives qui excluent les femmes portant le niqab abaissent la barre quant à ce qu’il est considéré approprié de dire publiquement sur les musulmans, et même concernant ce qui peut leur être fait. L’opposition au niqab en dit davantage sur ceux qui y font obstacle que sur les femmes elles-mêmes. Viser un traitement juste pour les femmes qui portent le niqab, même si elles sont peu nombreuses, nous permettra de constituer une communauté et un système de justice équitables pour tous, même les plus marginalisés.

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La professeure Natasha Bakht fait partie des 40 conférenciers qui prendront la parole lors de la conféfence annuelle sur la diversité culturelle et religieuse qui aura lieu à Montréal, du 2 au 4 octobre 2017. 

À propos de l'auteur

Natasha Bakht

Natasha Bakht

Professeure agrégée, Faculté de droit - Section de common law, Université d'Ottawa

BA (Art dramatique,Sience politique, Études féminines, Université de Toronto)
MA (Science politique, Queen’s University)
LLB (Université d'Ottawa)
LLM (New York University School of Law)
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