Écoblanch(IA)ment – Alyssa Egiziano

Écoblanch(IA)ment
L’intelligence artificielle est source d’une multitude de contradictions environnementales. Malgré tout le bien (ou le mal) qu’elle apporte à la société, l’IA laisse derrière elle une empreinte environnementale considérable. Cependant, ce travail vise à mettre en évidence la manière dont l’IA peut être utilisée à des fins positives ou négatives en matière de l’écoblanchiment.
Tout d’abord, qu’est-ce que l’écoblanchiment exactement ? Selon les Nations Unies[1], l’écoblanchiment désigne la pratique consistant à induire le public en erreur en lui faisant croire qu’une entreprise ou une organisation fait plus d’efforts environnementaux qu’elle n’en fait réellement. Les entreprises peuvent pratiquer l’écoblanchiment en promouvant de fausses solutions climatiques, par exemple en affirmant atteindre la neutralité carbone alors qu’elles n’ont aucun plan concret, ou en apposant intentionnellement des labels « verts » faux ou trompeurs afin d’attirer un marché plus large et d’augmenter leurs revenus.
Les principes ESG sont la clé pour détecter l’écoblanchiment
La mise en œuvre des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les entreprises et autres entités peut contribuer à atténuer l’écoblanchiment en révélant des politiques concrètes sur la manière dont l’entreprise s’engage à devenir plus respectueuse de l’environnement et en évaluant son impact social[2]. Si les entreprises mettent en œuvre les principes ESG, cela indique souvent qu’elles souhaitent être plus écologiques.
Pour devenir plus respectueuses de l’environnement, les entreprises doivent se conformer aux réglementations ESG. Ces réglementations sont des règles juridiquement contraignantes établies par des organismes de réglementation ou le gouvernement auxquelles les entreprises doivent se conformer. À ce jour, il n’existe pas de norme universellement acceptée pour les rapports ESG[3]. En l’absence de norme pour les rapports ESG, les différents pays imposent des réglementations différentes, ce qui rend la conformité difficile et nécessite beaucoup de ressources[4].
Les performances ESG d’une entreprise peuvent être évaluées en fonction de trois sources principales : les divulgations de l’entreprise, les renseignements contextuels sur l’entreprise et les renseignements provenant d’un contexte plus large, comme les actualités, les médias sociaux, les rapports d’ONG et d’autres recherches[5].
Selon la Commission européenne[6], 40 % des allégations écologiques ne sont pas appuyées par des preuves et 53 % des déclarations fournissent des renseignements vagues, trompeurs ou non fondés. L’absence de standards dans les déclarations ESG des entreprises peut mener à de l’écoblanchiment involontaire[7].
Applications juridiques au Canada
Au Canada, en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[8] (« LCSA »). Selon l’article 122(1) de la LCSA[9], chaque administrateur doit agir avec honnêteté et bonne foi dans l’intérêt supérieur de la société.
Plus précisément, en vertu de l’article 122 (1) (b), agir avec prudence et diligence est le devoir d’un administrateur d’assurer la transparence de ses actions et d’informer ses actionnaires et le public. Ainsi, en agissant avec prudence et diligence, les entreprises réduiront l’écoblanchiment, car si elles ne se conforment pas à cette obligation, les administrateurs s’exposent à des sanctions pécuniaires, comme le prévoit l’article 122 (2) de la LCSA[10].
À titre d’exemple, Keurig a fait croire aux acheteurs canadiens qu’ils pouvaient recycler leurs capsules de café en plastique à usage unique[11] et être ainsi plus respectueux de l’environnement. Cependant, la plupart des usines de recyclage des provinces du pays n’acceptent pas ces capsules de café, à l’exception du Québec et de la Colombie-Britannique[12]. En conséquence, Keurig a été condamnée à une amende de 3 millions de dollars pour modifier les allégations trompeuses figurant sur ses emballages. Si les entreprises n’agissent pas avec soin et diligence, conformément à l’article 122 (2) de la LCSA, elles seront sanctionnées pour l’écoblanchiment.
L’utilisation de l’IA pour la détection de l’écoblanchiment
Dans de tels cas, l’utilisation de l’IA peut contribuer à atténuer les effets de l’écoblanchiment. S’inspirant des travaux de Palak Gupta, diplômé de l’ESCP Business School, l’IA, et plus précisément les grands modèles de langage (BML), peut détecter l’écoblanchiment et tenir les entreprises responsables de la promotion d’allégations trompeuses[13]. Le modèle peut détecter des indicateurs internes, tels que des formulations vagues et l’absence d’objectifs mesurables[14], et compare les résultats avec des sources tierces, telles que des rapports d’ONG et des articles de presse[15]. Une fois que les informations ESG de l’entreprise sont calculées, le BML attribue à l’entreprise un pointage de probabilité d’écoblanchiment[16] basé sur un modèle de notation. Ainsi, l’IA peut contribuer efficacement à réduire l’écoblanchiment, car les entreprises se verraient dénoncées pour leurs actions délibérément trompeuses.
De même, les évaluations ESG basées sur l’IA sont intégrées à l’aide du traitement automatique du langage naturel (TALN), ce qui permet aux ordinateurs de comprendre le texte et la parole[17]. De nombreuses entreprises et organisations mettent en œuvre des technologies d’apprentissage automatique pour divulguer l’analyse des données, les investissements ESG et l’acquisition d’informations ESG[18]. Les données évaluées peuvent servir de point de départ pour établir des rapports ESG internes et externes plus complets et plus fiables sur la durabilité des entreprises[19]. Ainsi, l’IA et l’apprentissage automatique peuvent contribuer à fournir des données ESG plus fiables et à réduire le risque d’écoblanchiment par les entreprises grâce à une divulgation plus transparente.
Les hypertrucages peuvent favoriser l’écoblanchiment
D’autre part, l’IA peut également être utilisée à des fins négatives et aggraver l’écoblanchiment. L’un des effets négatifs de l’IA est la création d’un hypertrucage, ou d’un « deepfake » en anglais. Les hypertrucages sont des manipulations dans les médias où des images, des voix, des vidéos ou des textes sont modifiés numériquement ou générés par l’IA[20]. De plus, des textes générés par l’IA, tels que des articles ou des blogues, peuvent être publiés en ligne et circuler parmi les contenus réels[21].
La diffusion d’informations fausses est appelée désinformation, lorsqu’elle vise délibérément à induire les gens en erreur[22]. L’internet et les réseaux sociaux sont un terrain fertile pour la désinformation. Celle-ci commence à affaiblir la confiance du public et est utilisée comme une arme pour faire croire aux gens ce qu’ils veulent croire, au détriment des experts qui affirment le contraire. Nous avons vu la désinformation circuler lors des élections, de la pandémie de Covid-19, et nous la voyons maintenant circuler au sujet de la crise climatique.
Des sites web tels que Dall-E et d’autres sites web de vidéos générées par l’IA créent des images[23] et des vidéos originales et suffisamment réalistes. Si elles sont utilisées à des fins ludiques, les usagers peuvent générer des images en quelques secondes, comme par exemple un singe jouant au soccer sur Saturne. Cependant, elles peuvent également être utilisées pour diffuser de la désinformation.
En mars 2023, un groupe de réflexion de droite a utilisé une image générée par l’IA de Dall-E représentant une baleine morte sur la plage pour « montrer » que les éoliennes en mer seraient nocives pour les baleines[24]. Après des recherches plus approfondies, il s’avère que ce groupe de réflexion est connu pour être opposé à la transition énergétique vers les énergies renouvelables[25]. L’utilisation de l’IA pour faire valoir leur point de vue est facilement accessible et très préjudiciable. L’utilisation des hypertrucages peut porter atteinte à la crédibilité des actions en faveur du climat et nourrir la méfiance envers les responsables publics.
Une autre façon dont l’IA peut faciliter l’écoblanchiment consiste à demander à l’IA générative de produire des messages vagues sur le sujet du respect de l’environnement. J’ai demandé à ChatGPT de créer un message et voici ce qu’il m’a proposé :
Mon message dans ChatGPT : Je crée une entreprise de vêtements et je souhaite être respectueux de l’environnement et le promouvoir sur mon site web. Pouvez-vous me préparer des messages prêts à être utilisés ?
Le t-shirt Everyday Organic — Le confort rencontre la conscience. Fabriqué à partir de coton 100 % certifié biologique, ce chandail utilise 91 % moins d’eau que le coton conventionnel et est teinté avec des couleurs non toxiques et à faible impact. Sa coupe classique et son doux confort en font un vêtement essentiel que vous porterez encore et encore, car la durabilité devrait être votre choix quotidien[26].
Des exemples comme celui-ci perpétue l’écoblanchiment, car il n’y a aucune preuve tangible que j’ai utilisé du coton 100 % certifié biologique. Je ne possède pas non plus une entreprise de vêtements, mais cela rend le message très convaincant et assez trompeur.
Au fil du temps, les hypertrucages deviendront plus convaincants et il sera plus difficile de faire la distinction entre les vidéos fausses et les vidéos réelles, basées sur des informations vérifiables. Les gouvernements devront mettre en œuvre des politiques, des directives et des lois afin de pouvoir caractériser et distinguer les contenus malveillants générés par l’IA des contenus positifs[27]. Comparée à la mise en œuvre de nouvelles législations, l’IA évolue à la vitesse du son. Comment les gouvernements peuvent-ils suivre le rythme et rendre leurs politiques pertinentes ? La collaboration entre les alliés, les académiques, les gouvernements partenaires et les experts du secteur est essentielle[28].
Conclusion
L’intelligence artificielle peut être un outil très utile pour détecter l’écoblanchiment et dénoncer les entreprises qui trompent le public. Si l’IA peut faire beaucoup de bien, elle peut aussi causer davantage de dommages à la société si elle est utilisée pour diffuser des informations trompeuses sur l’écoblanchiment et créer de la désinformation sur les questions climatiques. Dans un monde où la confiance du public dans la vérité décline rapidement, les usagers de GenAI doivent-ils attiser les flammes de la désinformation ou ajouter de l’huile sur le feu ?
[1] Greenwashing – The Deceptive Tactics Behind Environmental Claims, en ligne : Nations Unies : Action pour le climat <https://www.un.org/en/climatechange/science/climate-issues/greenwashing>
[2] Prophix, Guide des réglementations ESG 2024 au Canada et dans le monde (6 mars 2024), en ligne : Prophix <https://www.prophix.com/blog/a-guide-to-esg-regulations-in-canada-across-the-globe/>
[3] Ibid
[4] Les 5 principaux défis du reporting ESG et les meilleures pratiques (25 février 2025), en ligne : Eco Active Tech <https://ecoactivetech.com/the-5-main-challenges-of-esg-reporting-and-best-practices/>
[5] Une question de confiance : comment l’IA répond aux préoccupations liées au greenwashing (11 juillet 2024), en ligne : CFA Institute <https://www.cfainstitute.org/insights/articles/how-ai-combats-greenwashing>
[6] Commission européenne, Green Claims, en ligne : Environnement, Commission européenne <https://environment.ec.europa.eu/topics/circular-economy/green-claims_en>
[7] Supra, note 7
[8] Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44 (ci-après dénommée « LCSA »)
[9] 122 (1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir :
a) avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société;
b) avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente.
[10] Observation
(2) Les administrateurs et les dirigeants doivent observer la présente loi, ses règlements d’application, les statuts, les règlements administratifs ainsi que les conventions unanimes des actionnaires.
[11] Akepa, Greenwashing : 19 exemples récents marquants (23 janvier 2025), en ligne : The Sustainable Agency <https://thesustainableagency.com/blog/greenwashing-examples/>
[12] Ibid
[13] Palak Gupta, Greenwashing in Corporate Sustainability: How AI is Exposing False ESG Claims (3 avril 2025), en ligne : The Choice <https://thechoice.escp.eu/tomorrow-choices/greenwashing-in-corporate-sustainability-how-ai-is-exposing-false-esg-claims/>
[14] Ibid
[15] Ibid
[16] Ibid
[17] Supra, note 7
[18] Dongyang Zhang, « The Pathway to Curb Greenwashing in Sustainable Growth: The Role of Artificial Intelligence » (2024) 133 Energy Economics 107562 à la page 4
[19] Ibid, à la page 4
[20] Canada, Service canadien du renseignement de sécurité, Deepfakes : une menace réelle pour l’avenir du Canada, (Ottawa : Communication Group, 2023) <https://www.canada.ca/en/security-intelligence-service/corporate/publications/the-evolution-of-disinformation-a-deepfake-future/deepfakes-a-real-threat-to-a-canadian-future.html>
[21] Ibid
[22] Ibid
[23] Dall-E, en ligne : OpenAI <https://openai.com/index/dall-e-2/>
[24] Goodness Esom, 3 ways Regulation can Prevent Deepfake Greenwashing (18 juillet 2025), en ligne : WEForum <https://www.weforum.org/stories/2025/07/deepfake-greenwashing-regulations/#:~:text=Generative%20artificial%20intelligence%20(GenAI)%20can,the%20threat%20of%20deepfake%20greenwashing>
[25] Shanti Escalante-De Mattei, Selon des experts, l’industrie énergétique utilise des militants écologistes pour soutenir sa stratégie anti-éolienne (17 juillet 2023), en ligne : The Guardian <https://www.theguardian.com/environment/2023/jul/17/anti-wind-farm-whale-defenders-fossil-fuel-industry>
[26] ChatGPT (12 août 2025), en ligne : OpenAI <https://chatgpt.com/c/689b54b7-367c-832c-bcda-4fa0b3a6fde3>
[27] Supra, note 7
[28] Ibid