Réflexion sur les défis du consentement et de la prise de décision pour les enfants et familles de genres divers

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mercredi, 2 octobre 2024
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Dans le cadre de notre 48e Conférence annuelle sur Les familles et le droit, qui se déroulera du 9 au 11 octobre à Winnipeg, un panel sera dédié aux Défis du consentement et de la prise de décision pour les enfants et familles de genres divers.

Face aux récentes politiques provinciales concernant les étudiants de genres divers, ce panel examinera les implications juridiques, éthiques et personnelles liées aux exigences de consentement parental pour ces enfants et leurs familles. Les discussions porteront sur les droits des enfants et des parents, le contexte socio-médical de la diversité des genres, ainsi que sur les rôles et responsabilités des commissions scolaires et des différents niveaux de gouvernement dans la prise de décision concernant les enfants de genres divers.

Pour orienter les échanges de ce panel, le modérateur Robert Leckey, doyen et professeur titulaire de la Chaire Samuel Gale à la Faculté de droit de l’Université McGill, a posé une question à nos deux panélistes : Annie Pullen Sansfaçon, vice-rectrice associée aux relations avec les Premiers Peuples et professeure titulaire de la Chaire de recherche du Canada, ainsi que Dr. Shuvo Ghosh, MD, FAAP, pédiatre du développement et du comportement à l’Hôpital de Montréal pour enfants, Centre universitaire de santé McGill.

La question était la suivante :

Comment les récents changements de politique concernant le consentement parental pour l’usage du pronom préféré et du prénom choisi à l’école se positionnent-ils par rapport aux enjeux que vous rencontrez dans vos activités professionnelles?

 

Annie Pullen Sansfaçon nous livre ses premières réflexions. 

« Les recherches que je mène depuis plusieurs années maintenant examinent comment les environnements sociaux, comme la famille et l’école, ont des impacts importants sur les jeunes trans et non binaires. Ce que nous voyons de manière générale, c’est que des environnements sociaux soutenants favorisent le bien-être chez ces jeunes, alors que des environnements non-soutenants tendent à les affecter négativement.    

Il a été démontré que l’affirmation du genre — y compris l’utilisation correcte d’un nom, d’un pronom et la reconnaissance de son identité de genre authentique — est un facteur de protection important pour le bien-être des jeunes trans. À l’inverse, il a été démontré que le fait de ne pas utiliser le bon pronom ou le bon nom affecte négativement le bien-être des jeunes[1].

Des recherches sur les jeunes fréquentant des cliniques pédiatriques de genre ont montré comment le bien-être des jeunes trans et non-binaires est facilité et amélioré par le respect du nom et des pronoms de la jeune personne[2],[3]. L’utilisation incorrecte de noms et de pronoms est non seulement identifiée comme préjudiciable au bien-être, mais également comme un obstacle à l’accès aux soins[4].

Dans le cadre d’un de mes projets de recherche financés par le Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada mené auprès de 54 jeunes de la province de Québec, nous avons pu examiner l’impact de l’utilisation des noms et des pronoms à l’école sur le bien-être général des élèves trans et de genre divers. Lorsque le personnel utilisait le nom et les pronoms corrects, les participants se sentaient validés. La méconnaissance du personnel scolaire quant à l’identité de genre des élèves a été identifiée comme un obstacle majeur par les élèves. Dans la même étude, nous avons également constaté que l’acceptation et la reconnaissance de la diversité de genre par les camarades de classe constituaient également un élément important du bien-être des jeunes de diverses identités de genre. Les élèves qui déclarent un niveau de bien-être plus élevé à l’école estiment également que leur identité de genre est reconnue et soutenue par leurs pairs. En revanche, les élèves exclus des interactions scolaires ont décrit des situations dans lesquelles ils ont été ostracisés par leurs pairs ou victimes d’intimidation après avoir révélé leur identité de genre (c’est-à-dire avoir fait leur coming-out). L’intimidation était principalement perpétrée par le biais de commentaires transphobes, d’invasions de la vie privée et d’utilisation abusive délibérée du nom et des pronoms choisis par un élève[5].

Or, les recherches montrent aussi que l’affirmation du genre par les parents peut prendre bien du temps. Plusieurs mois, voire des années peuvent passer entre la réalisation de l’identité de genre par la jeune personne, et le coming out.   Lorsqu’on examine les études s’intéressant qu’aux jeunes trans et non binaires et au soutien parental, incluant les études menées au Québec[6],[7], on constate qu’une grande proportion d’enfants et de jeunes trans et non binaires sont toujours confrontés à un manque d’acceptation de la part de leur parent[8],[9],[10]. En effet, entre 34 % à 58 % des jeunes bénéficieraient d’un soutien fort de leur parent[11],[12], tandis que d’autres connaissent un « manque de soutien explicite », une « neutralité négative », voire un rejet pur et simple. Le soutien parental n’est donc pas garanti et n’est souvent pas immédiatement disponible.  Nous avons aussi trouvé une surreprésentation des jeunes trans et non-binaires dans les services de la protection de la jeunesse au Québec.13

De demander un consentement parental pour utiliser un prénom choisi peut ainsi mettre un enfant à risque.  Dans une récente menée au Québec dans le cadre de l’étude plus vaste Être en sécurité être soi 2019, nous avons découvert que 44,1 % des jeunes trans et non binaires subissent des violences sexuelles et que près de 20 pour cent ont été physiquement blessés par un membre de leur famille[13]. Dans cette même étude, la violence physique perpétrée par un membre de la famille était plus fréquente chez les jeunes âgés de 14 à 17 ans (34,2 %) que chez les 18 à 25 ans (14,6 %). 14

En somme, l’affirmation du genre par l’utilisation des pronoms choisis par la jeune personne peut s’avérer un facteur de protection important.  Cela dit, de forcer une jeune personne à demander le consentement parental peut avoir des conséquences négatives importantes sur les jeunes trans et non binaires, incluant de les placer dans une situation de grande vulnérabilité. »

 

Découvrez les réflexions du Dr Ghosh (en anglais) au lien suivant

 


Pour approfondir la discussion sur le thème du droit de la famille, retrouvez Robert Leckey, Annie Pullen Sansfaçon et Dr. Shuvo Ghosh lors de notre 48e conférence annuelle sur «Les familles et le droit», accompagnée de nombreux experts en la matière qui auront à cœur d’échanger et de travailler à la recherche de solutions pour améliorer l’impact du système de justice sur les familles canadiennes.

  • Du 9 au 11 octobre 2024 
  • En personne – Winnipeg, MB – et en ligne 

Découvrez le programme complet de la conférence et inscrivez-vous dès maintenant!

En savoir plus

 

 


Références :

  1. Pullen Sansfaçon, A., Hébert, W., Lee, E. O. J., Faddoul, M., Tourki, D. et Bellot, C. (2018). Digging beneath the surface: Results from stage one of a qualitative analysis of factors influencing the well-being of trans youth in Quebec. International Journal of Transgenderism, 19(2), 184-202. doi: 10.1080/15532739.2018.1446066
  2. Inwards-Breland, D. J., DiVall, S., Salehi, P., Crouch, J. M., Negaard, M., Lu, A., Kantor, A., Albertson, K. et Arrens, K. R. (2019, 2019/12/01). Youth and Parent Experiences in a Multidisciplinary Gender Clinic. Transgender Health, 4(1), 100-106. https://doi.org/10.1089/trgh.2018.0046; 6
  3. Tollit, M. A., Feldman, D., McKie, G., & Telfer, M. M. (2018). Patient and Parent Experiences of Care at a Pediatric Gender Service. Transgender health, 3(1), 251–256. https://doi.org/10.1089/trgh.2018.0016
  4. Gridley, S. J., Crouch, J. M., Evans, Y., Eng, W., Antoon, E., Lyapustina, M., Schimmel-Bristow, A., Woodward, J., Dundon, K., Schaff, R., McCarty, C., Ahrens, K., & Breland, D. J. (2016). Youth and Caregiver Perspectives on Barriers to Gender-Affirming Health Care for Transgender Youth. The Journal of adolescent health : official publication of the Society for Adolescent Medicine, 59(3), 254–261. https://doi.org/10.1016/j.jadohealth.2016.03.017
  5. Kelley, J., Pullen Sansfaçon, A., Gelly, M. A., Chiniara, L., & Chadi, N. (2022). School Factors Strongly Impact Transgender and Non-Binary Youths’ Well-Being. Children (Basel, Switzerland), 9(10), 1520. https://doi.org/10.3390/children9101520
  6. Pullen Sansfaçon, A., Hébert, W., Lee, E. O. J., Faddoul, M., Tourki, D., & Bellot, C. (2018). Digging beneath the surface : Results from stage one of a qualitative analysis of factors influencing the well-being of trans youth in Quebec. International Journal of Transgenderism, 19(2), 184‑202. https://doi.org/10.1080/15532739.2018.1446066;
  7. [1] Pullen Sansfacon, A., Gelly, M. A., Faddoul, M., & Lee, E. O. J. (2020). Soutien et non soutien parental des jeunes trans : Vers une compréhension nuancée des formes de soutien et des attentes des jeunes trans. Enfances Familles
  8. [1] McConnell, E. A., Birkett, M., & Mustanski, B. (2016). Families Matter : Social Support and Mental Health Trajectories Among Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender Youth. Journal of Adolescent Health, 59(6), 674‑680. https://doi.org/10.1016/j.jadohealth.2016.07.026;
  9. [1] Navarro, J., Johnstone, F., Temple Newhook, T., Smith, M., Wallace Skelton, J., Prempeh, K., … Bauer, G. (2021). Health and well-being among trans and nonbinary youth. Repéré sur le site de Trans PULSE Canada Team : https:// transpulsecanada.ca/research-type/reports
  10. [1] Travers, R., Bauer, G., Pyne, J., & Bradley, K. (2012). Impacts of Strong Parental Support for Trans Youth : A report prepared for Children’s Aid Society of Toronto and Delisle Youth Services. Trans PULSE. http://transpulseproject.ca/research/impacts-of-strong-parental-support-for-trans-youth/
  11. [1] McConnell, E. A., Birkett, M., & Mustanski, B. (2016). Families Matter : Social Support and Mental Health Trajectories Among Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender Youth. Journal of Adolescent Health, 59(6), 674‑680. https://doi.org/10.1016/j.jadohealth.2016.07.026
  12. [1] Navarro, J., Johnstone, F., Temple Newhook, T., Smith, M., Wallace Skelton, J., Prempeh, K., … Bauer, G. (2021). Health and well-being among trans and nonbinary youth. Available on the Trans PULSE Canada Team’s website: https:// transpulsecanada.ca/research-type/reports
  13. Pullen Sansfaçon, A., Blanchet, A., Poulin Ladouceur, R., Picard, J. & Goyette, M. (2023). Jeunes trans et non-binaires en protection de la jeunesse : portrait de la situation au Québec. Criminologie, 56(1), 335–360. https://doi.org/10.7202/1099016ar, p. 351.
  14. Ladry, N.-J., Pullen Sansfaçon, A., Chadi, N., London-Nadeau, K., Taylor, A. B., Chan, A., Chiniara, L. & Saewyc, E. M. (2023). Abus et violence vécus par les jeunes trans et non binaires au Québec. Criminologie, 56(2), 295–322. https://doi.org/10.7202/1107607ar

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Fondé en 1974, l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) rassemble les individus et les institutions au service de l’administration de la justice et vise à promouvoir l’excellence en favorisant l’acquisition de connaissances, la formation et l’échange d’idées. L’ICAJ offre de la formation sur mesure et des programmes multidisciplinaires conçus pour tous les acteurs du système de justice, rédige des rapports et émet des recommandations pouvant servir d’assise au changement.