Que représente un nom (ou un pronom)?

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mercredi, 17 janvier 2024
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


NDT: En raison de la spécificité du français, les pronoms du texte original en anglais ont été conservés. Voir le guide canadien «Écriture inclusive: communications relatives aux personnes non binaires» pour en savoir davantage sur les néopronoms (iel, etc.) et les techniques de rédaction épicène propres à la langue française. 

Qu’est-ce qu’un nom (ou un pronom)? 

J’ai récemment remarqué quelques grands titres au sujet de l’annulation par la cour d’appel fédérale d’une ordonnance provisoire de surseoir au renvoi de Colin Ewen, parce que le juge des requêtes avait soulevé une question à propos des pronoms de genre. Je propose d’examiner comment ce juge a voulu faire intervenir les droits de la personne dans une procédure judiciaire afin d’adapter le langage juridique au contexte de la diversité des genres.  

Le juge avait remarqué que les mémoires du gouvernement utilisaient les pronoms sexués «he/him» ainsi que les pronoms neutres «they/their». Il a admis avoir surpris les parties en demandant à l’avocat fédéral si l’utilisation de pronoms neutres violait les droits d’Ewen en vertu de la Charte en raison de son identité sexuelle. Le juge a demandé à Ewen quel pronom lui correspondait. Ewen a répondu «he». Le juge a demandé si le fait d’utiliser they/their» portait atteinte à sa dignité. Ewen a répondu «en quelque sorte», parce cela ne s’adressait pas directement à lui. Le juge a accordé l’ordonnance pour permettre la présentation d’observations sur la Charte. L’ordonnance a effectivement reporté le renvoi de M. Ewen. 

Le juge en chef de Montigny a rédigé des motifs très convaincants pour l’annulation de l’ordonnance. D’après les récentes orientations de la Cour suprême concernant la compétence d’une cour d’appel pour soulever de nouvelles questions, les tribunaux peuvent user de leur pouvoir discrétionnaire pour prévenir une injustice sur la base d’un dossier suffisant et lorsque les parties n’ont pas subi de préjudice. Le juge avait commis une erreur en l’espèce. Bien que se représentant lui-même, Ewen n’avait pas soulevé la question et n’avait fourni qu’une réponse «approximative» à la question du juge concernant l’effet des pronoms sur sa dignité. Le gouvernement a subi un préjudice du fait de la question surprise et de l’impact sur sa capacité à faire respecter la suppression du délai accordé pour présenter des observations écrites.  

Le juge de Montigny a souligné l’absence du dossier factuel nécessaire sur la question de l’identité de genre, au titre de l’article 15 de la Charte. Il a noté qu’il n’y avait pas de place dans les procédures «allégées» de suspension urgente pour une définition appropriée de questions relatives à la Charte, pour le dépôt de preuves ou le contre-interrogatoire sur la preuve, ou pour une demande de réparation en vertu de l’article 24. En outre, le juge n’avait pas compétence pour faire une déclaration fondée sur la Charte dans le cadre d’une requête provisoire. L’ordonnance pourrait ne pas être susceptible d’appel. La recherche de l’égalité par un juge au cours d’une procédure ne doit pas risquer de compromettre l’apparence d’impartialité en soulevant une question qui lui est propre. Le juge de Montigny a décidé de ne pas renvoyer l’affaire parce qu’Ewen n’était plus susceptible d’être expulsé de façon imminente.  

La question des noms et des pronoms 

Dans l’affaire Ewen, le juge des requêtes s’est penché sur la question de la dignité en lien avec la question linguistique des noms et pronoms, qui commence à être reconnue à sa juste valeur dans la société et dans la loi.  

Nous nous adressons aux autres en tant qu’individus, en employant des noms et des pronoms qui reflètent des caractéristiques fondamentales pour notre dignité individuelle, telles que notre genre, notre orientation sexuelle, notre genre, notre origine ethnique. Si l’on qualifie erronément un homme de femme, normalement, on se reprend. Bien sûr, si l’on s’aperçoit que l’on s’est adressé à une personne de manière inappropriée par rapport à son identité, la même civilité exige que l’on répare cette erreur.  

La société doit admettre que le genre est beaucoup plus diversifié qu’on ne le pensait. La Cour suprême a reconnu que les personnes transgenres comptent parmi les plus désavantagées de notre société. Elle note que la Cour supérieure du Québec a estimé que l’identité de genre est un motif analogue à ceux énumérés dans l’article 15 de la Charte. 

La Loi canadienne sur les droits de la personne a suivi la plupart des provinces en interdisant la discrimination dans l’emploi et les services sur la base de l’identité et de l’expression de genre. 

Les tribunaux ont estimé que les erreurs de genre pouvaient être discriminatoires. Par exemple, le fait qu’une personne transgenre ait été mégenrée à répétition, cela étant aggravé par l’emploi de surnoms sexistes, et qu’elle ait été licenciée, constitue de la discrimination fondée sur l’identité et l’expression de genre. Le Tribunal a souligné que ce sont les effets et non l’intention qui déterminent l’existence de discrimination. Toutefois, le fait qu’un autre employé ait mégenré délibérément et de façon répétée a facilité la preuve de discrimination dans ce cas. Mais il est intéressant de noter que corriger une erreur de genre peut en réduire le préjudice.  

Un tribunal de la Saskatchewan a émis une injonction interlocutoire empêchant le gouvernement d’instaurer une politique dans les écoles qui exige le consentement des parents pour qu’un élève de moins de 16 ans ait le droit de changer de nom, d’identité ou d’expression de genre au sein du système scolaire, y compris de pronoms, en attendant de déterminer si cette politique contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte. Le tribunal a reçu des preuves significatives démontrant que le fait de ne pas pouvoir changer de nom et de pronom ajoute à la situation très néfaste que les élèves de diverses identités de genre vivent à l’école et à l’effet négatif général de la réaction de la société à l’égard de ce groupe vulnérable. Le tribunal a estimé que les preuves démontraient clairement l’existence d’un préjudice irréparable subi par les élèves concernés. En retour, la législature de la Saskatchewan a promulgué sa politique dans une Déclaration des droits des parents en modifiant la Loi de 1995 sur l’éducation et, par les paragraphes 197.4(3) a invoqué l’article 33 de la Charte et (4), l’a exclue des protections prévues par le Code des droits de la personne de la Saskatchewan de 2018 

La vigoureuse réaction du gouvernement de la Saskatchewan à cette question s’inscrit dans la vague de dissidence contre ce que certains perçoivent comme une expression forcée contraire à la liberté d’expression. Il ne fait aucun doute que l’obligation d’utiliser des pronoms de genre différents sera contestée à l’avenir. Mais nous avons déjà l’habitude de nous adresser à certaines personnes en les appelant M., Mme ou Mlle, en fonction de l’intersection de leur identité de genre individuelle et de leur état civil [NDT : À noter que le français ne fait plus cette distinction aujourd’hui, du moins au Québec, et que «Mademoiselle ne s’emploie plus que si on s’adresse à une toute jeune fille ou à une femme qui tient à se faire appeler ainsi»]. En quoi serait-il déraisonnable d’étendre cette pratique à d’autres identités de genre?  

Les cours et tribunaux se sont montrés sensibles à la question de l’utilisation des noms et des pronoms appropriés, par respect pour les personnes qui interagissent avec le système de justice Par exemple, la Cour d’appel fédérale invite (paragraphe 46.1) les avocats et les parties à fournir leurs noms et pronoms à utiliser en cours d’instance. 

Le grand titre auquel j’ai fait référence précédemment a attiré l’attention sur la décision d’appel d’annuler l’ordonnance provisoire dans l’affaire Ewen. Mon bref aperçu montre le contexte dans lequel ce juge a tenté d’utiliser l’étendue du langage de la loi pour s’adresser respectueusement à une personne dans cette procédure, une question qui ne manquera pas de se poser à nouveau à l’avenir. 

***Ceci ne constitue en aucun cas un avis juridique

 

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.