L’éthique des affaires et les décisions de la CSC

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mercredi, 20 décembre 2023
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


L’éthique des affaires a été récemment relevée par la Cour suprême du Canada

J’aimerais me pencher sur quelques décisions de la Cour suprême du Canada témoignant d’une évolution des principes éthiques dans les contrats qui sous-tendent de larges pans de notre économie. La Cour suprême a tout récemment examiné l’éthique contractuelle dans le cadre du Code civil du Québec dans l’affaire Ponce, tout comme elle l’avait fait précédemment pour la common law dans l’affaire Bhasin. Ces affaires illustrent le genre de ferment éthique du droit, comme celui produit par la législation sur les droits de la personne, la Charte et le droit autochtone. Même la personne la plus égoïste a un intérêt de principe dans le bonheur et la bonne fortune d’autrui, écrivait Adam Smith il y a longtemps dans sa Théorie des sentiments moraux, avant de publier sa théorie du capitalisme dans la Richesse des nations.

Dans Ponce, deux présidents d’un groupe de trois entreprises dans le secteur des assurances ont acheté les actions de ces entreprises et les ont vendues à Industrial inc., en dissimulant aux actionnaires les informations pertinentes sur l’opération au moyen d’ententes de non-divulgation. Les présidents ont réalisé un bénéfice considérable. Le problème est que les présidents et les actionnaires étaient parties à un contrat régissant leurs relations, en vertu duquel ils s’engageaient à faire fructifier les activités des trois compagnies, y compris les ventes potentielles, et à fournir aux présidents une rémunération incitative.

Les actionnaires étaient mécontents. Ils ont affirmé que le fait de ne pas les avoir informés de la participation d’Industrial dans leurs actions constituait une violation du Code civil : l’article 1375 exigeant que la bonne foi gouverne la conduite des parties pendant la durée du contrat et l’article 1434 liant les parties à leur contrat et à tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.

Les présidents ont déclaré que leur devoir était envers leurs entreprises et non envers les actionnaires. La dissimulation de l’information sur la vente n’était qu’une décision d’affaires.

Le juge Kasirer a estimé que le fait que les présidents aient omis d’informer les actionnaires constituait une violation d’une clause implicite du contrat en vertu de l’article 1434, qui concernait son contenu. Toutefois, je souhaite me concentrer sur sa conclusion plus importante sur le plan éthique, à savoir une violation de l’article 1375, qui impose aux parties d’exécuter leur contrat de bonne foi, promulgué pour tous, en tant qu’ordre public contractuel qui établit «une attitude générale – voire un état d’être». Le juge Kasirer poursuit en disant que le principe de la bonne foi du Code comporte deux obligations. Tout d’abord, suivant la dimension prohibitive, les parties doivent s’abstenir d’alourdir malhonnêtement et déraisonnablement la charge des autres et de rompre l’équilibre du contrat en ne veillant pas aux intérêts des autres parties. Deuxièmement, un devoir d’assistance proactive à l’autre partie, y compris un devoir de fournir des informations d’importance mutuelle, afin d’atteindre des objectifs communs. Ces obligations étaient contractuelles et n’atteignaient pas le niveau d’une obligation de mandataire créée par un objectif subordonnant leurs intérêts à ceux des actionnaires (comparable à une obligation fiduciaire en common law). La portée de l’obligation appliquée en l’espèce découlait de son contexte particulier : les présidents savaient tout de l’opération, cette information était importante pour les actionnaires qui ont été bloqués mais étaient en droit de l’attendre et ne pouvaient la découvrir par eux-mêmes.

En conséquence, le Tribunal a restitué le bénéfice de l’opération aux actionnaires à titre de compensation contractuelle pour avoir été pris au dépourvu par l’opération et non comme une restitution de bénéfices pour manquement à l’obligation d’un mandataire.

Il y a quelques années, le Tribunal a estimé que la common law exigeait la bonne foi dans l’exécution honnête des obligations contractuelles dans l’affaire Bhasin.

C a commercialisé des plans d’épargne-études par l’intermédiaire d’agents, dont B et H, dans le cadre d’un contrat renouvelable tous les trois ans. H a cherché à fusionner avec l’activité lucrative de B, mais a essuyé un refus. Le juge de première instance a estimé que C avait agi de manière malhonnête à l’égard de B : il l’avait trompé sur son projet de fusion avec H et n’avait pas informé B qu’il travaillait en étroite collaboration avec H en vue d’une restructuration avec H comme agence principale. C a mis H en position d’examiner les comptes des agences et a refusé de renouveler son contrat avec B lorsqu’il a refusé d’autoriser un tel examen. B a perdu la valeur de son agence.

Le juge Cromwell a estimé que H et C avaient manqué à leur obligation d’exécuter honnêtement leurs contrats, une obligation qui rendrait la loi plus sûre, correspondrait aux attentes raisonnables des parties contractantes et rendrait justice à H.

Il constate l’incohérence de la source du principe éthique à travers le patchwork des catégories de cas dans lesquels il a été trouvé. Mais s’agit-il d’une question d’intention ou d’interprétation? La common law contient des principes directeurs qui ne sont pas nécessairement des règles indépendantes mais qui sont instanciés dans d’autres principes juridiques plus spécifiques. Le principe de bonne foi signifie qu’une partie contractante doit tenir compte des intérêts légitimes de l’autre partie et ne pas les compromettre. Le juge Cromwell utilise le langage de l’éthique : exécution honnête, franche, directe et raisonnable. La bonne foi ne crée pas une obligation de fiduciaire. Le Tribunal propose que les tribunaux s’inspirent progressivement de ce principe directeur pour compléter la mosaïque d’obligations de bonne foi existantes, afin d’assurer l’ordre et la certitude dans les contrats.

Le juge Cromwell estime dans cette affaire qu’une obligation générale d’honnêteté dans l’exécution des contrats devrait découler du principe directeur de la bonne foi: un devoir de ne pas mentir ou induire l’autre partie en erreur. Il déclare que l’exécution honnête est une doctrine générale du droit des contrats imposant une limite à la liberté contractuelle, indépendamment de l’intention contractuelle, que les parties ne sont pas libres d’exclure. Il défend son choix de principe éthique en se demandant quelle personne raisonnable s’attendrait à ce que son contrat soit exécuté de manière raisonnable. Il note également que l’obligation d’exécution honnête reflète le droit québécois et les lois de plusieurs états américains où elle s’est développée dans les tribunaux avant d’être promulguée, sans entraver la stabilité contractuelle.     

À une époque où les entreprises cherchent à accroître leurs profits, creusant les inégalités économiques, la Cour a affirmé et développé le principe éthique de la bonne foi, afin de garantir que les parties obtiennent au moins ce qu’elles ont négocié. L’ardoise vierge du droit des contrats n’est pas le cadre habituel des questions d’éthique. Mais la définition de l’obligation de bonne foi dans ces deux cas protège les parties à un contrat contre un comportement inattendu ou inconnu contraire à l’éthique. Elle contribue dans une certaine mesure à mettre en œuvre le point de vue d’Adam Smith selon lequel même la personne la plus égoïste a besoin de voir à la bonne fortune d’autrui.

***Ceci ne constitue en aucun cas un avis juridique

 

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.