Les enquêtes extraterritoriales et la Charte

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mercredi, 23 août 2023
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


Récemment, la Cour suprême du Canada a été confrontée à deux questions interdépendantes dans l’affaire McGregor. Celles-ci découlaient d’une accusation de voyeurisme à l’encontre d’un membre des Forces armées canadiennes en poste à l’ambassade du Canada à Washington DC, et disposant d’une résidence privée dans une ville voisine, en Virginie. L’une de ces questions consistait à savoir si une perquisition réalisée à la fois par les FAC et par la police de la Virginie était conforme à la Charte. Le problème le plus important, à la source de l’autre question, était de savoir si la Cour devait revenir sur sa décision dans l’affaire Hape, selon laquelle la Charte ne s’applique pas aux perquisitions extraterritoriales. Tous les membres du tribunal sauf deux ont pu ignorer la question de l’arrêt Hape, parce qu’elle n’avait pas été soulevée par les parties et parce qu’il n’était pas nécessaire de trancher, étant donné la conclusion majoritaire selon laquelle il n’y avait pas de violation de l’article 8 de la Charte, en partant de l’hypothèse que la Charte s’appliquait.

La perquisition

La majorité s’est montrée méticuleuse dans l’analyse des mesures prises par la police et les enquêteurs des FAC, conformément à l’article 8. Tout d’abord, les enquêteurs des FAC ont obtenu de l’ambassade du Canada une levée de l’immunité diplomatique pour effectuer une perquisition dans la propriété privée de l’accusé, puis la police a obtenu un mandat concernant l’accusation de voyeurisme couvrant la fouille des appareils numériques auprès de l’autorité compétente en vertu de la loi de la Virginie. La perquisition a été peu intrusive. Les enquêteurs des FAC ont pris le contrôle de la situation dès que la police a forcé la porte. Il est important de noter que les preuves d’agression sexuelle trouvées de manière imprévue sur les appareils découverts lors du triage étaient légales en vertu de la doctrine canadienne des objets bien en vue, parce qu’elles étaient immédiatement visibles et découvertes par inadvertance par les enquêteurs, et mises de côté pour une autorisation ultérieure. Les appareils contenant ces nouvelles preuves ont été immédiatement renvoyés au Canada et n’ont été consultés qu’après l’obtention d’un mandat canadien. La perquisition ayant été raisonnable, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’envisager une exclusion en vertu de l’alinéa 24(2).

L’accusé a été arrêté par l’enquêteur des FAC à Washington et informé de son droit à l’assistance d’un avocat en vertu de l’alinéa 10b). Le droit pénal canadien s’appliquait à lui en vertu de la Loi sur la défense nationale et du traité conclu avec les États-Unis, mais pas à la perquisition de ses biens.

Le défi de Hape

Les juges concordants ont qualifié l’application extraterritoriale de la Charte de question fondamentale, qui avait été débattue par les parties et les intervenants (par. 47). Ils ont trouvé des failles dans le raisonnement de l’affaire Hape. Premièrement, le droit international ne limite pas la portée de la Charte. Deuxièmement, le fait d’exiger des fonctionnaires canadiens qu’ils se conforment à la Charte ne porte pas atteinte à la souveraineté locale s’ils agissent conformément à la loi et à la procédure locales. Troisièmement, il est rare que l’État étranger consente à l’application de la Charte à une enquête canadienne locale. Mais la Cour a accepté la coopération avec les forces de l’ordre étrangères comme étant suffisante pour une perquisition raisonnable. Quatrièmement, l’exception à la règle selon laquelle le droit local s’applique sauf s’il conduit les enquêteurs canadiens à enfreindre les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne serait source de confusion. Cinquièmement, le fait de ne pas appliquer la Charte aux perquisitions extraterritoriales signifierait qu’un accusé ne bénéficierait que des protections de l’article 7 et de l’alinéa 11 d) en matière de procès équitable plutôt que des protections complètes de la Charte, y compris de l’article 8 (par. 67 à 76).

En fin de compte, les juges concordants ont décidé que le réexamen de l’affaire Hape devait attendre parce que la majorité n’avait pas constaté de violation de l’article 8 et avait refusé de s’engager sur la question de l’extraterritorialité (par. 49 et 79).

Il est important de noter qu’ils ne se sont pas étendus sur la manière dont la Charte s’appliquerait à l’étranger — une question assurément centrale — dont ils ont reconnu qu’elle n’avait pas été pleinement débattue devant eux (par. 80).

Le rôle des intervenants

Les intervenants ont demandé au tribunal de réexaminer l’affaire Hape.

La majorité a rappelé aux intervenants quel était leur rôle, soit d’aider la Cour à trancher les questions posées par les parties, et non pas de soulever de nouvelles questions ou d’apporter de nouveaux éléments de preuve. La majorité a également noté que les critiques théoriques concernant Hape ne suffisaient pas à porter atteinte à son autorité.

Les juges concordants ont pris note des arguments des intervenants et ont déclaré qu’ils avaient présenté des observations utiles et différentes sur la question préliminaire de savoir si la Charte s’appliquait aux actes des enquêteurs. Ils ont convenu avec la majorité que les intervenants ne pouvaient pas soulever de nouvelles questions (par. 82, voir aussi Le-Vel par. 20, Lesiuk par. 20), mais ont estimé que le réexamen de l’arrêt Hape élargirait la question soumise à la Cour. Il est intéressant de noter que certains intervenants avaient qualité pour soulever cette question (par. 81).

Le caractère «Chartien» de la question des perquisitions à l’étranger

Il est intéressant de noter que la majorité s’est montrée tout à fait capable de traiter des questions complexes liées à la Charte qui se posaient lors de la perquisition à l’étranger. Par exemple, elle a jugé nécessaire d’appliquer la doctrine «canadienne» des objets bien en vue à la perquisition effectuée aux États-Unis pour justifier la saisie de l’appareil contenant les preuves d’agression sexuelle, en l’absence d’un mandat. Les juges concordants ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’invoquer la doctrine des objets bien en vue, car le simple fait de voir des preuves d’agression sexuelle ne constituait pas une saisie de ces preuves (par. 91). La majorité s’est également demandé si la preuve devait être exclue en vertu de l’alinéa 242) plutôt que d’examiner son effet dans le cadre d’un procès équitable en vertu de l’article 7 et de l’alinéa 11d).

Dans l’affaire Hape, le juge LeBel, au paragraphe 91, a déclaré que l’application de la Charte après coup, comme l’a fait la Cour dans cette affaire, ne porterait pas atteinte à la souveraineté des États-Unis parce que l’audience s’est déroulée au Canada. Mais cela ne correspond pas à l’objectif de la Charte, qui est censée être proactive. Cela ne fait aucun doute. Mais c’est peut-être le moyen d’apprendre comment cela peut être réalisé dans diverses juridictions. 

Bien que la Cour ait pu appliquer l’hypothèse de la Charte pour structurer son analyse de la perquisition et de la saisie dans cette affaire, le système américain est semblable au nôtre. La conclusion selon laquelle la perquisition était raisonnable a permis à la Cour de ne pas répondre à la «deuxième question». Toutefois, si les enquêteurs canadiens avaient travaillé avec les forces policières d’une autre juridiction, plus étrangère à la nôtre, où la police défonce simplement la porte sans mandat, il est probable que la perquisition aurait été jugée déraisonnable et que la question de la perquisition aurait dû être tranchée conformément à l’arrêt Hape, ce qui aurait remis en question son bien-fondé. La preuve recueillie lors d’une telle perquisition devrait être jugée en fonction de son incidence sur les droits de l’accusé à un procès équitable garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d), ce qui, selon les juges concordants, n’offrirait pas une protection de la Charte aussi complète que l’annulation de l’arrêt Hape (par. 76).

Il est important de noter que la conclusion déterminante dans cette affaire était qu’une perquisition effectuée aux États-Unis était raisonnable selon les principes de la Charte canadienne. La question de l’application de la Charte n’a même pas été abordée.

Face à la multitude de juridictions dans lesquelles les enquêteurs canadiens devront effectuer des perquisitions, la Cour a prudemment remis la contestation par les intervenants de l’arrêt Hape à plus tard. Le champ de plus en plus important de l’application multinationale de la loi est très complexe. Mais il est certain que la Charte doit suivre les fonctionnaires canadiens partout où ils s’engagent dans les affaires de ce pays et guider leurs actions autant que possible pour que les Canadiens à l’étranger bénéficient d’une protection optimale.

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.