L’effet d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour pénale internationale

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mercredi, 17 mai 2023
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


Dans ce billet, j’examine l’effet des mandats d’arrêt délivrés en mars dernier par la CPI à l’encontre de Vladimir Poutine et de sa commissaire aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova. Dans ces mandats, il est allégué que ces derniers sont responsables d’un crime de guerre consistant à déporter illégalement des enfants ukrainiens en Russie (en violation des articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome, le traité qui a constitué la CPI avec 123 États parties). Je me concentrerai sur Poutine.

Depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo, les tribunaux pénaux internationaux appliquent un éventail de dispositions du droit pénal international de plus en plus large (y compris les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité) aux personnes accusées des crimes les plus graves à l’échelle internationale. Par exemple, en décembre dernier, un tribunal cambodgien spécial (ici) a confirmé en appel les condamnations des derniers dirigeants toujours vivants du régime des Khmers rouges, sous lequel des millions de personnes ont été tuées ou maltraitées.

Le droit pénal international

Nous avons tous entendu parler de crimes de guerre potentiellement commis en Ukraine. Cependant, dans un contexte de justice pénale internationale, la police ne répond pas au 911; les mesures de sauvegarde procédurales de nombreux systèmes juridiques dans le monde sont intégrées au Statut de Rome lui-même; et les crimes présumés impliquent souvent des milliers, voire des millions de victimes et de coupables. Les enquêtes demandent beaucoup de temps ainsi qu’un important contrôle judiciaire avant même le procès. Le processus dépend de la coopération des États parties.

La CPI et l’Ukraine

Le 28 février 2022, le Procureur de la CPI a annoncé qu’il ouvrirait une enquête sur les crimes relevant de la compétence de la CPI en Ukraine à partir des événements de 2014 (ici). Il a appelé les États parties à exercer leur droit de déférer la situation à la CPI et 41 d’entre eux, dont le Canada, ont répondu dans les jours qui ont suivi (article 14).

La compétence de la CPI est une question importante. Par exemple, la CPI peut exercer sa compétence à l’égard des crimes commis sur le territoire des États parties. Or, l’Ukraine n’est pas un État partie: elle a signé le traité en 2000 mais ne l’a pas ratifié. Par contre, elle a récemment déclaré qu’elle acceptait la compétence de la CPI pour les crimes commis sur son territoire (article 12). La Russie n’est pas un État partie.

Le mandat a été délivré par une chambre préliminaire de la CPI. Cela montre que le Procureur dispose de preuves suffisantes pour démontrer à la CPI qu’il existe des motifs raisonnables de croire que Poutine a commis ces crimes et qu’il était nécessaire de le traduire en justice, de l’empêcher de faire obstruction à l’enquête ou de mettre fin au crime (article 58).

L’exécution du mandat

Il est évident qu’il sera difficile de faire exécuter ce mandat d’arrêt en réalité. La Russie ne voudra pas collaborer à l’exécution du mandat à la demande de la CPI.

La Chambre préliminaire a le pouvoir de demander à un État partie de l’arrêter (article 58-9). Seuls les États parties sont liés par une demande d’arrestation; les autres États peuvent se porter volontaires (articles 86 à 90).

Les chefs d’État peuvent être reconnus coupables d’un crime par la CPI. D’ailleurs, la Chambre d’appel de la CPI a récemment estimé que la Jordanie avait enfreint le Statut de Rome en n’arrêtant pas le président soudanais Al-Bashir, qui faisait l’objet de deux mandats d’arrêt de la CPI. Elle a estimé que le statut de Rome et le droit international coutumier (qui lie tous les États) (a) excluent l’immunité des chefs d’État pour les jugements de fond sur la culpabilité devant la CPI (article 27) (b) excluent l’immunité procédurale des chefs d’État contre l’arrestation par un État partie parce que cela interférerait avec le jugement et (c) parce que le Soudan n’est pas un État partie, et que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies ordonnant au Soudan de «coopérer pleinement» exigeait qu’il agisse comme s’il en était un (article 98, ici, paragraphes 119, 122, 132, 143-53. L’arrêt est controversé (voir ici, ici et ici).

L’Ukraine pourrait de son propre chef tenter d’arrêter Poutine lorsqu’il se rendra sur place pour constater l’évolution du conflit (ici, et ici). En déclarant accepter la compétence de la CPI, l’Ukraine s’est engagée à coopérer avec celle-ci (article12(3)). Mais la question de l’immunité du chef d’État se posera à nouveau, car l’Ukraine n’est pas un État partie (articles 87(5) et 98).

Cependant, Poutine pourrait sortir de la Russie, par exemple pour aller au sommet des BRICS en Afrique du Sud, en août 2023 (ici et ici). L’Afrique du Sud est un État partie et a déjà été critiquée pour avoir manqué à son obligation d’arrêter Al-Bashir lors de ses voyages visant à rencontrer des chefs d’État (ici). La Cour suprême d’appel sud-africaine a réaffirmé que cette obligation relève du droit national (ici).

Al Bashir n’a été arrêté qu’après avoir été renversé par un coup d’État (ici). De même, des rumeurs ont fait état de préoccupations majeures concernant la gestion du conflit ukrainien par Poutine (ici). Il pourrait arriver qu’il soit l’objet un coup d’État comme l’a été Al-Bashir.

Le mandat d’arrêt contre Poutine pour crimes internationaux devrait avoir un impact sur ses décisions concernant le déroulement de la guerre. Il a suscité la crainte parmi ses collègues et son peuple et l’oblige à reconsidérer ses prochains voyages dans les États parties (ici). C’est le signe d’un mouvement contre l’impunité des crimes internationaux (ici).

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.