Les peines minimales obligatoires et l’article 12 de la Charte

Publié par
mercredi, 22 mars 2023
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


La Cour suprême du Canada a récemment annulé une peine minimale obligatoire de quatre ans pour avoir déchargé une arme à feu dans une maison dans l’affaire Hills (here). Bien que M. Hills ait admis que la peine minimale obligatoire était justifiée dans son cas, il a fait valoir que la loi pourrait être appliquée à quelqu’un qui ne le mérite pas. En ce qui le concerne, le Parlement avait abrogé la peine minimale obligatoire après l’audition du pourvoi, mais le Tribunal a déclaré de façon idéaliste que cette modification législative n’aurait pas d’incidence sur cette affaire (paragraphe 7). Le Tribunal a ensuite réaffirmé et affiné son interprétation par voie de doctrine de l’article 12 de la Charte protégeant les Canadiens contre les peines ou traitements cruels et inusités (par. 76-7). La Cour a ensuite statué dans une affaire connexe, Hillbach (ici), que la peine minimale obligatoire pour vol à main armée avec arme à feu était constitutionnelle. 

Plutôt que d’analyser la façon dont le Tribunal a affiné sa jurisprudence sur l’article 12, je me propose d’examiner certaines des objections formulées par deux juges de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Hills à l’égard de la règle établie par la Cour il y a 35 ans, selon laquelle une loi sur la détermination de la peine enfreint l’article 12 si elle est manifestement disproportionnée dans ses effets sur l’accusé ou sur un délinquant présumé d’après le critère de l’«hypothèse raisonnable». Je me propose également de commenter l’opinion du Tribunal selon laquelle l’article 12 est violé lorsqu’une peine porte atteinte à la dignité humaine ou qu’elle est manifestement disproportionnée.

Dans la juridiction inférieure (ici), le juge Wakeling a passé en revue la jurisprudence du tribunal pour expliquer pourquoi il pensait que c’était le Parlement et non les juges qui devait fixer les principes pénaux dans cette «attaque flagrante» contre les valeurs démocratiques (par. 146). Il a déclaré qu’il ne pouvait pas comprendre comment le Tribunal avait développé une telle «plaie» de principes erronés qu’il a fait remonter à Smith, l’arrêt de principe (par. 128, Smith [ici]). Il résume ses objections : 1) l’incarcération est une forme «habituelle» de punition 2) l’article 12 ne s’applique qu’aux «vrais» délinquants et non aux «soi-disant délinquants» (par. 262) 3) des poursuivants raisonnables n’accuseraient pas de petits délinquants d’une infraction assortie d’une peine minimale obligatoire 4) le régime de détermination de la peine est brisé (par. 141-3) et 5) la préoccupation traditionnelle selon laquelle certains juges agissent comme des «législateurs en herbe» de manière inappropriée (par. 299). Le juge O’Ferrall a convenu que la jurisprudence relative à l’article 12 devrait être réexaminée (par. 102). Il était d’avis que le caractère de l’«hypothèse raisonnable» mettait indûment l’accent sur la loi et non sur le traitement individuel des délinquants (par. 109).

Dans l’arrêt Hills, le Tribunal a mis en veilleuse l’argument bien usé des législateurs «en herbe» en statuant qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter de l’interprétation constitutionnelle de longue date de l’approche de l’art. 12 (par. 3). Il a noté de toute façon que le critère de la disproportion exagérée donnait au Parlement une marge de manœuvre suffisante pour exercer son pouvoir de fixer des peines, même des peines minimales obligatoires, pourvu qu’elles ne soient pas scandaleuses (par. 113; Smith, 1072). Le Tribunal a simplement fait son travail en fixant la portée raisonnable de la loi (Nur para. 63).

Qu’en est-il de l’objection à la préoccupation du Tribunal pour les «soi-disant délinquants»? La raison la plus évidente d’étendre la portée de l’article 12 par l’analyse de l’hypothèse raisonnable a peut-être été avancée dans l’affaire Smith. Elle était nécessaire pour garantir la certitude que la loi n’imposerait pas une peine scandaleuse dans certaines affaires (ici, 1078). Comme dans l’affaire Hill, la préoccupation du Tribunal ne portait pas sur les accusés qui admettaient souvent que la peine était justifiée, mais sur la jeune personne hypothétique, désormais symbolique, qui rentre au Canada en voiture des États-Unis avec son premier joint et qui est soumise à la peine minimale obligatoire de sept ans dans un pénitencier pour importation de stupéfiants en vertu de l’article 5 de la Loi sur les stupéfiants (1053-4). L’article 12 a toujours porté sur la loi et non sur le demandeur (Hills, par. 72). La loi ne peut pas constitutionnellement permettre aux juges de prononcer une peine qui est manifestement disproportionnée ou incompatible avec la dignité humaine: Bissonnette, par. 69. Le juge McIntyre, dissident dans l’affaire Smith, a noté que le Tribunal permettait aux parties de faire valoir une violation des droits des tiers qui n’étaient pas devant le tribunal parce qu’ils n’auraient autrement jamais pu faire valoir leur affaire en raison de leur impécuniosité ou lorsqu’il n’y aurait jamais eu une personne mieux placée pour le faire (1084). Alors que le juge McIntyre pensait à l’expression protégée, l’extension par le Tribunal du droit des délinquants à s’appuyer sur les droits des tiers petits délinquants peut sembler incompréhensible, mais elle garantit que le petit délinquant sans ressources ne recevra pas une peine inconstitutionnelle. Il est intéressant de noter que l’accusé accepte souvent que la peine minimale obligatoire s’applique à lui, mais pas aux autres dans le cadre d’une contestation fondée sur l’article 12. Cet altruisme pourrait s’expliquer par le raisonnement du Tribunal dans l’affaire Smith, qui a renvoyé l’accusé devant la juridiction inférieure pour qu’il soit à nouveau condamné en raison de l’effet gonflant que la peine minimale obligatoire inconstitutionnelle aurait pu avoir sur la peine (1082).

Quant à l’objection selon laquelle aucun poursuivant raisonnable ne laisserait un petit délinquant être condamné de manière inconstitutionnelle, le Tribunal a toujours considéré qu’une contestation au titre de l’article 12 devait être tranchée judiciairement et non en déléguant leur rôle constitutionnel aux procureurs (Smith, 1078-9, Nur, par. 85-98).

Il est difficile de cerner la réaction du Tribunal à l’objection selon laquelle le processus de détermination de la peine au Canada est défaillant. La détermination de la peine est le pilier de la sanction pénale et la solution par défaut en cas d’annulation d’une peine minimale obligatoire. Le Tribunal a rejeté l’idée qu’une exemption constitutionnelle pourrait être ordonnée lorsque le petit délinquant subirait une violation de l’article 12 dans le cas d’une peine minimale obligatoire : Ferguson. Cela ne ferait que préserver la procédure normale de détermination de la peine.

Le retour du critère de la dignité est notable (Hilbach, par. 89, Hills par. 133). Dans l’affaire Law sur l’égalité en vertu de la Charte (ici par. 52), le Tribunal a statué que divers facteurs pertinents devaient être examinés pour déterminer s’ils portaient ou non atteinte à la dignité humaine en vertu de l’article 15. Ce critère s’est finalement avéré plutôt flou et a lentement cédé la place, à l’époque de l’affaire Fraser (ici par. 27), à la mesure plus simple de la faute constitutionnelle consistant à amplifier le désavantage des groupes les plus vulnérables pour des raisons de discrimination, l’état du droit en 1989 (ici 1333). Qu’adviendra-t-il de ce critère dans l’article 12 ?

Le critère de l’hypothèse raisonnable est là pour de bon. Il a résisté aux objections formulées dans l’affaire Hills. Et dans les deux affaires les plus récentes, il a conduit à la disparition d’une peine minimale obligatoire tout en permettant à une autre d’être maintenue, en grande partie sur la base de la protection contre une menace pour la société.

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.