Le monde de la médiation judiciaire

Publié par
mardi, 22 janvier 2019
Publié dans Dernières nouvelles

Pour conclure la conférence, un panel international de juges et de juristes s’est entretenu avec l’honorable Louise Otis de l’état du développement de la médiation judiciaire et de son impact dans leur pays respectif. Au-delà des différences notables qui peuvent exister entre pays, la médiation judiciaire est toujours appelée à jouer un rôle social important là où elle est présente.

Il est des cas où la paix sociale est mieux servie par les modes de PRD (prévention et résolution des conflits) que par la seule énonciation par un juge du droit applicable. Un litige particulier, voire plusieurs litiges, peuvent trouver solution quand le conflit interpersonnel qui en est la source est réglé. L’honorable Béatrice Brenneur, ancienne présidente de Chambre de la Cour d’appel de Lyon, raconte ses expériences en conciliation judiciaire : quand une copropriété, objet de vingt-neuf jugements sur une période de 13 ans, est encore au cœur d’un litige dont est saisi le tribunal, la juge Brenneur interrompt les plaidoiries. Il faut savoir, nous rappelle-t-elle, qu’en France, le présent cadre législatif de la procédure civile ne permet pas au magistrat saisi d’un litige d’agir lui-même comme médiateur . Or — impossible n’est pas français! — le juge peut toutefois tenter de concilier les parties en marge de l’audience . Ainsi, c’est par le biais de la comparution personnelle des parties que la juge Brenneur permet au motif réel des litiges de se faire jour : l’une des parties s’est sentie insultée et exclue lors d’une assemblée des copropriétaires. L’une des parties présente ses excuses, l’autre se désiste : le conflit trouve sa résolution.

Véritable creuset culturel, religieux et ethnique, la société trinidadienne porte en elle un héritage historique complexe marqué par son passé colonial. L’honorable Vasheist Kokaram, juge de la Cour suprême de Trinité-et-Tobago (High Court), fait état à la fois de l’ancrage dans la culture et de la popularité croissante de la médiation judiciaire dans cet État des Caraïbes. Trinité-et-Tobago est le seul État de la région où la panoplie des modes de PRD comprend une médiation pouvant être menée par un juge pendant l’instance. Dans un contexte national où les crimes reliés aux drogues et la violence domestique sont en hausse, la médiation judiciaire participe d’un effort judiciaire plus large (peace jurisprudence) qui fait de la paix sociale son point focal, au-delà de la stricte résolution légale des conflits. Par ailleurs, cet effort profite du fait que les compétences particulières que les juges acquièrent par leur expérience de médiation transforment positivement le travail judiciaire traditionnel.

Le juge Srđan Šimac découvre la médiation judiciaire à Montréal en 2000, en même temps qu’une quinzaine de ses collègues croates. Selon ses propres mots, sa vie en est changée, et c’est en partie pour cela qu’il conçoit aujourd’hui son rôle de juge avec plus de modestie. Louise Otis lui pose aujourd’hui la question : fort de ses années de pratique de la médiation, quels seraient ses conseils à des collègues qui se formeraient à la médiation judiciaire? Le juge médiateur laisse son masque de juge à la porte, devant les parties il est lui-même, répond le magistrat croate. Mais ce n’est pas pour autant que se perd l’autorité morale de la robe. Au contraire, explique-t-il, l’autorité du juge médiateur découle de la confiance et du respect — tant nécessaires à la médiation! — que se témoignent juge et parties.

L’institutionnalisation de la médiation est un phénomène récent dans les pays de l’ex-URSS et dans la Fédération de Russie. La professeure Tsisana Shamlikashvili, spécialiste internationale des modes de PRD, médiatrice internationale et avocate, pionnière de l’institutionnalisation de la médiation en Russie, nous rapporte que son développement a suivi un cours distinct dans chacun des pays de cet ensemble régional. En Russie même, le portrait était contrasté jusqu’à une date récente. Si certaines régions pratiquent la médiation depuis le milieu des années 1990, ce n’est qu’en 2010 qu’une loi-cadre sur la médiation en matière civile, commerciale et familiale, et autres matières, est adoptée le Parlement fédéral. Elle constitue une partie de la réponse de l’État russe à la surcharge des tribunaux, car, si l’accès à la justice demeure généralement peu cher en Russie, le nombre de juges est insuffisant. L’implantation de la médiation dans les anciennes républiques socialistes est inégale. Particulièrement avancée en Lettonie, elle a connu plusieurs revers en Biélorussie du fait d’une corruption endémique, de sorte que la médiation n’y est désormais autorisée qu’en matière familiale. Au-delà de la rapidité du système judiciaire, la médiation est appelée à jouer un rôle plus rudimentaire, plus essentiel : dans un pays fracturé comme l’Ukraine, elle est une façon de se protéger de la dégradation du lien social.


PANEL : Un regard planétaire sur la médiation de l’avenir
Modératrice : L’honorable Louise Otis, juge administrative internationale, médiatrice, professeure adjointe, Université McGill
Conférenciers : L’honorable Béatrice Brenneur, magistrat honoraire, médiatrice assermentée, formatrice en médiation, France; L’honorable Vasheist Kokaram, Cour suprême de Trinidad-et-Tobago; L’honorable Srđan Šimac, Tribunal supérieur du commerce de la République de Croatie; président, Association croate pour la médiation; La professeure Tsisana Shamlikashvili, présidente, Organisation nationale des médiateurs; présidente, Sous-comité MARD et médiation, Association du Barreau russe; titulaire de la Chaire de médiation sociale, Université de Moscou

Ce compte rendu a été publié par l’Institut canadien d’administration de la justice le 22 janvier 2019, dans la foulée d’un séminaire international en l’honneur du 20e Anniversaire Médiation judiciaire. L’événement a eu lieu à Montréal le 22 novembre 2018, sous la présidence d’honneur de la juge en chef du Québec, l’honorable Nicole Duval Hesler.

Pour faire part de vos commentaires, veuillez communiquer avec l’ICAJ par courriel à l’adresse suivante : icaj@ciaj-icaj.ca.

À propos de l'auteur

Renaud Houle-Collin

Renaud Houle-Collin

Étudiant au baccalauréat, Faculté de droit de l'Université de Montréal