Enjeux sociaux : au carrefour de la loi et de la maladie mentale
Lors de l’inauguration de l’édifice portant son nom à Washington, le 1er novembre 1977, Hubert Humphrey a parlé de la manière dont son gouvernement traitait les membres les plus vulnérables de la société en ces termes : « La façon dont un gouvernement traite ceux qui sont à l’aube de leur vie (les enfants), au crépuscule de leur vie (les personnes âgées) et ceux qui vivent dans l’ombre (les malades, les nécessiteux et les personnes handicapées) est le miroir de sa moralité ».
Dans les années 1960 et 1970, les mouvements politiques ont emboîté le pas du développement de traitements efficaces pour les troubles mentaux graves et persistants comme la schizophrénie ou d’autres maladies mentales pouvant déclencher une psychose. Les contestations devant la Cour suprême des États-Unis et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés ont donné lieu à des contestations concernant la détention arbitraire d’adultes pour cause de maladie mentale. Cela aurait dû être le point de départ de changements positifs pour ceux qui souffrent de troubles mentaux graves. Malheureusement, on a sorti les adultes atteints de maladies mentales des asiles, mais on ne leur a pas offert les services nécessaires au maintien de leur santé ou à leur rétablissement.
Ce mouvement pour l’abolition des asiles s’est répandu dans presque tous les pays développés, mais le Canada se classe aux derniers rangs en ce qui concerne le financement des programmes de santé mentale. Le manque d’accès à des soins médicaux et à des services sociaux appropriés et les difficultés inhérentes au traitement (comme la stigmatisation et le fait que les personnes qui ont le plus souvent besoin de traitement et de soutien ne savent pas qu’elles souffrent d’une maladie mentale, par exemple), ont causé une hausse directement proportionnelle de cette clientèle dans le système de justice pénale et les refuges pour sans-abri.
Je parlerai ici de deux maladies mentales en particulier, qui peuvent être facilement traitées. Une fois traitées, la probabilité que les personnes qui en souffrent se retrouvent à nouveau dans le système de justice pénale devient très faible.
Les maladies les plus susceptibles de déclencher des épisodes de psychose sont la schizophrénie et les troubles bipolaires. Cependant, les drogues de rue comme la méthamphétamine en cristaux (crystal meth) et le crack peuvent aussi contribuer au développement d’une psychose. Lorsque c’est le cas, les symptômes psychotiques sont souvent plus difficiles à traiter.
Dans une psychose, l’esprit se joue lui-même des tours. La personne atteinte de psychose entend souvent des voix et développe un système de croyances qui devient sa propre version de la réalité.
Regardez n’importe quel film d’horreur et identifiez-vous au protagoniste qui capte les messages de son environnement et se rend compte de ce qui se passe réellement. Ce protagoniste, comme la personne qui souffre d’hallucinations et de délire, est peu susceptible de penser que sa perception de la réalité est déformée par une maladie mentale. Que penseriez-vous à sa place?
Ces symptômes, combinés à d’autres symptômes caractéristiques des pensées et des comportements désorganisés, entraînent une difficulté à résoudre des problèmes, un manque de jugement, de la peur et de l’agitation, ce qui constitue une véritable bombe à retardement. Sans traitement ni soutien, la porte est grande ouverte vers l’isolement social, la stigmatisation, la peur des personnes atteintes de maladies mentales, l’expulsion et l’incarcération.
Ce sont là les facteurs sociaux qui ont contribué, et contribueront probablement encore, à la criminalisation des personnes atteintes de maladies mentales.
* * * * *
Le Dr. Jeffrey Waldman fait partie des conférenciers qui prendront la parole lors de la 43e Conférence annuelle de l’ICAJ sur la justice et la santé mentale qui aura lieu à Ottawa, du 17 au 19 octobre 2018.