Nouvelles technologies et rédaction législative
Mise en contexte (ICAJ)
Les technologies sont de plus en plus présentes dans les différentes sphères de notre système de justice. Cependant, malgré de nombreuses avancées, le recours à l’informatique et à la réseautique n’est pas encore complètement intégré à l’appareil judiciaire. Au Québec, le laboratoire de cyberjustice se penche sur la question, et offre un espace de réflexion et de création où les processus de justice sont modélisés et repensés. L’équipe du Laboratoire développe entre autres des outils technologiques concrets et adaptés à la réalité du système juridique.
L’université Michigan, quant à elle, a lancé la plateforme Matterhorn, qui offre aux policiers, juges, administrateurs judiciaires et procureurs la capacité de traiter un grand volume de cas et de rejoindre la population sans devoir se déplacer au palais de justice. On peut penser aussi à tous les moteurs de recherche qui permettent aujourd’hui de trouver en ligne lois et jurisprudences. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Le domaine de la rédaction des lois n’est pas en reste. Ainsi, une partie de la prochaine conférence sur la rédaction législative de l’ICAJ (Le nouveau conseiller législatif : à la croisée du droit, des orientations et de la politique) sera consacrée à l’impact des nouvelles technologies sur la rédaction législative. Les conférenciers invités sont Tarik Nesh-Nash, directeur et cofondateur de GovRight et créateur de la plateforme marocaine reforme.ma, qui vise à favoriser une rédaction législative participative en offrant à la population la possibilité de commenter les articles de lois, et Jasmine Lee, spécialiste du système d’automatisation Oracle, qui nous donne ici un avant-goût de son intervention au sujet de cette technologie de plus en plus utilisée par les rédacteurs juridiques.
ICAJ : Mme Lee, comment décririez-vous le système d’automatisation Oracle?
J. Lee : Le système d’automatisation Oracle (OPA, pour Oracle Policy Automation) est un logiciel issu de recherches effectuées dans les années 1980 et 1990 sur les systèmes experts et la loi – et du désir d’un groupe de chercheurs australiens d’aider les gens à comprendre leurs droits et privilèges en matière de services sociaux, d’impôt, d’immigration et d’autres dispositions législatives. L’OPA permet aux gouvernements et à d’autres organisations d’automatiser les décisions judiciaires complexes et de donner des conseils personnalisés, basés sur des règles écrites en langage naturel (anglais, français, etc.). L’OPA est utilisé dans le monde entier, tant par des gouvernements nationaux, provinciaux et locaux que par un grand nombre d’entreprises privées.
L’OPA permet aux experts en politiques de répertorier les règles dans un format qui s’apparente à leurs propres outils. Les règles peuvent ensuite être déclinées en questionnaires consultatifs personnalisés visant à aiguiller les gens sur des questions telles que leur admissibilité à un programme gouvernemental, le montant qu’ils pourraient être en droit de réclamer, ou encore, ce qu’ils pourraient devoir payer. Les règles peuvent aussi être déclinées pour de vastes systèmes décisionnels tels que ceux utilisés pour traiter les demandes de prestations gouvernementales. L’objectif est de s’assurer que les avis et décisions soient rendus de manière uniforme, et que les lois et les règles soient appliquées fidèlement.
Le système d’automatisation Oracle permet en outre aux organismes gouvernementaux de répondre plus rapidement aux cas courants, ce qui permet d’utiliser plus efficacement les ressources humaines afin de traiter les cas exceptionnels ou appelant un jugement discrétionnaire. De plus, grâce à sa capacité d’expliquer les règles en langage naturel pour chaque décision rendue, L’OPA contribue à la transparence du gouvernement et à sa responsabilité.
ICAJ : En quoi ces innovations peuvent-elles aider les rédacteurs législatifs ?
J. Lee : Le système d’automatisation Oracle modifie la mise en œuvre des politiques gouvernementales. Traditionnellement, les systèmes informatiques visant à conseiller les citoyens ou à rendre des décisions gouvernementales ont été transcrits en code par un programmeur, ceci ajoutant de nombreuses couches d’abstraction entre les documents législatifs d’origine et le système final. Avec l’OPA, les règles et politiques ressemblent davantage au matériel original. Cela résulte en une participation plus active de la communauté juridique et politique dans le développement des systèmes.
Avec l’OPA, la modélisation des règles met souvent au jour des incohérences entre les différentes sections de la législation, ou des ambiguïtés au niveau de la rédaction. Une fois que les règles sont intégrées à l’OPA, le logiciel permet de s’assurer que celles-ci sont appliquées de façon uniforme, et les décisions peuvent être expliquées.
ICAJ : Selon vous, comment les technologies peuvent-elles contribuer à l’administration de la justice ?
J. Lee : Notre système juridique suppose que les gens sont conscients de leurs droits et responsabilités en vertu de la loi, mais en fait, il est impossible pour eux de suivre le rythme, vu le volume et la complexité des règles qui les entourent. L’OPA aide les gens à prendre des décisions éclairées dans ces situations confuses. Il permet également aux gens de mieux comprendre comment les lois et les politiques s’appliquent à leur propre situation. Conséquemment, il est plus aisé pour eux de s’y conformer.
Comme l’OPA offre aux gouvernements la possibilité de mettre en œuvre des politiques de manière plus précise, efficace et cohérente, il pourrait en résulter une diminution des appels. L’OPA permet également de prendre en compte des scénarios de type « Et si…». Les gouvernements peuvent donc tester les nouvelles politiques avant de les appliquer, ce qui peut aider les décideurs à peaufiner de futures versions.