L’avenir de la justice de réconciliation au Nouveau-Brunswick

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vendredi, 13 juin 2025
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L’avenir de la justice de réconciliation au Nouveau-Brunswick

Les réunions commencent souvent par une reconnaissance du fait qu’elles se tiennent sur des terres autochtones non cédées. Peu de gens comprennent réellement ce que signifie l’absence de cession; le chemin vers la réconciliation exigera que nous apprenions. Par exemple, six Premières Nations wolastoqey revendiquent la justice réconciliatrice dans une déclaration de titre ancestral sur des terres traditionnelles non cédées couvrant plus de la moitié du Nouveau-Brunswick, incluant un quart de million de propriétés privées et industrielles : Nations wolastoqey c. Nouveau-Brunswick, Canada et autres. 

La Cour suprême du Canada a reconnu que l’objectif central de la réconciliation entre la souveraineté de la Couronne et les droits autochtones existants, qu’ils soient antérieurs ou actuels, constitue un principe constitutionnel non écrit. De plus, l’honneur de la Couronne — un autre principe constitutionnel non écrit — oblige légalement la Couronne à négocier et à régler les revendications territoriales de bonne foi. Dans l’affaire Delgamuukw, la Cour suprême a affirmé que la réconciliation passe par le règlement des revendications de titre ancestral en s’appuyant à la fois sur le droit autochtone et la common law. Ce n’est certainement que par l’acceptation mutuelle d’un règlement juridique de ces questions que l’on peut considérer que les deux parties sont liées. 

La Cour suprême du Canada a affirmé que la primauté du droit doit offrir aux citoyennes, citoyens et résidentes, résidents une société stable, prévisible et ordonnée. Cette prévisibilité doit inclure la compréhension de la façon dont les grandes questions historiques que nous partageons avec les peuples autochtones pourraient être résolues — des questions qui, malheureusement, ont été mises en attente pendant que les politiciens et politiciennes s’attaquaient à ce qu’ils et elles considèrent comme des problèmes plus urgents. Parmi ces grandes questions figure celle de la réconciliation entre l’affirmation unilatérale de la souveraineté de la Couronne et ses concessions en fief simple, d’une part, et la souveraineté autochtone préexistante, d’autre part. 

En 2014, la juge en chef McLachlin a déclaré que la Couronne ne détient aucun intérêt bénéficiaire dans les terres visées par un titre ancestral : Tsilhqot’in. Ce que la Couronne détient, c’est ce qui reste après avoir soustrait, en vertu de l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’intérêt bénéficiaire complet conféré par le titre ancestral de l’intérêt de la Couronne. Le titre ancestral constitue un intérêt juridique indépendant et bénéficiaire, semblable au fief simple. La juge en chef McLachlin a précisé que ce titre existe parce que la doctrine selon laquelle personne ne possédait les terres avant l’arrivée des Européens ne s’applique pas au Canada. 

Mais si le titre ancestral est prouvé et que la Couronne ne détient aucun intérêt bénéficiaire, comment peut-elle accorder un titre en fief simple ? La juge en chef McLachlin n’a pas eu à trancher cette question dans l’affaire Tsilhqot’in, puisque la Première Nation ne demandait pas de déclaration de titre sur des terres privées ou submergées. 

La « grande question » soulevée dans la requête en radiation dans l’affaire des Wolastoqey semble porter moins sur la preuve du titre ancestral que sur les conséquences qu’une telle reconnaissance pourrait avoir sur de nombreuses concessions en fief simple faites par la Couronne. Le climat est fortement émotif. Les Wolastoqey ont accusé l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de faire de la propagande alarmiste. Ils ont publiquement affirmé qu’ils cherchent uniquement à récupérer des terres de la Couronne et des terrains industriels non aménagés. Dans leurs actes de procédure, ils désignent les propriétaires privés comme des « étrangers à la revendication ». Un chef a déclaré qu’ils ne cherchent pas à reprendre les terres appartenant à des particuliers, mais qu’ils maintiennent leur revendication complète sur l’ensemble du territoire afin d’obtenir un plus grand contrôle sur l’usage futur de ces terres. Le juge Gregory a noté le climat émotionnel intense et souligné que les Wolastoqey avaient délibérément exclu les propriétaires privés, apparemment pour les rassurer que leurs terres n’étaient pas directement en cause. 

La requête en radiation dans l’affaire des Wolastoqey se résumait à deux questions importantes : qui sont les parties appropriées ? Et les tribunaux peuvent-ils rendre une déclaration de titre ancestral lorsque la Couronne a déjà concédé les terres visées en fief simple ? (Le juge Gregory avait auparavant radié une demande de certificat de litige en instance ou d’avis équivalent, estimant que la nature particulière du titre ancestral ne cadre pas avec le régime de titres fonciers du Nouveau-Brunswick (¶130)). 

Premièrement, le juge Gregory a conclu que le droit constitutionnel public — qui ne concerne que les peuples autochtones et la Couronne en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — signifie que seules la Couronne et les demandeurs autochtones sont les parties appropriées. Elle a reconnu que des déclarations constitutionnelles peuvent avoir un impact sur des intérêts privés, mais que cela ne justifie pas leur inclusion dans un litige strictement constitutionnel. Elle a écrit que les parties privées ne pouvaient pas contribuer à la revendication et que leur participation constituait un fardeau pour elles et pour la procédure. Le juge Gregory a également statué que radier la demande contre les parties privées ne privait pas le groupe autochtone de la possibilité que la Couronne puisse être appelée à exproprier les terres détenues en fief simple à la suite d’une déclaration de titre ancestral. Toutefois, une telle ordonnance viserait uniquement la Couronne, en tant que partie appropriée au processus de réconciliation et responsable de l’indemnisation pour des concessions foncières inappropriées qu’elle aurait accordées. 

Deuxièmement, le juge Gregory a jugé que le tribunal pouvait rendre une déclaration de titre ancestral malgré l’existence d’intérêts en fief simple, mais que cette déclaration ne pouvait pas être rendue directement à l’encontre des propriétaires privés. Elle a permis que la carte illustrant l’ensemble du territoire revendiqué soit maintenue, car elle délimite les contours de la revendication visant la Couronne. 

Le juge Gregory a anticipé que l’action se déroulerait en plusieurs étapes, une phase de réconciliation devant suivre une conclusion établissant l’existence d’un titre ancestral. La Couronne devra prendre en compte les intérêts des propriétaires fonciers détenant des titres en fief simple avant que les tribunaux ne soient appelés à déterminer une réparation, advenant l’échec des négociations de réconciliation. Le juge Gregory a fait référence à l’attente formulée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Restoule, selon laquelle les démarches de réconciliation de la Couronne impliqueraient une série de considérations «complexes et polycentriques» tenant à la solennité de ses obligations envers les peuples autochtones ainsi qu’aux besoins des autres Canadiens et Canadiennes. Les propriétaires privés demeuraient encore étrangers à ce processus. Le juge Gregory a souligné que les titulaires de droits en fief simple pourraient souhaiter intervenir dans la phase réparatrice de l’instance. 

Cette revendication de titre ancestral sera extrêmement importante pour l’avenir de la réconciliation. La juge des requêtes a tenté de dissocier les enjeux juridiques de l’impact émotionnel plus large que ce litige peut avoir sur la réconciliation. Toutefois, la possibilité que la phase réparatrice du litige puisse mener à une déclaration selon laquelle la Couronne devrait exproprier des propriétés privées est de nature à susciter des inquiétudes — même si la Couronne doit agir comme intermédiaire et pourrait être tenue responsable de dommages. On a déjà été témoins de conflits au Nouveau-Brunswick en lien avec l’exercice des droits autochtones et l’utilisation des mêmes ressources par les pêcheurs. Dans ses motifs rejetant une nouvelle audience dans l’affaire Marshall, la Cour suprême du Canada a rappelé la distinction entre les droits autochtones exercés exclusivement par les peuples autochtones avant l’arrivée des Européens, et les droits issus de traités. La Cour a reconnu que l’interprétation d’un traité portant sur des droits commerciaux pouvait légitimement tenir compte des intérêts des non-Autochtones. Toutefois, elle a refusé l’argument «politique» voulant qu’elle n’ait pas compétence pour conclure qu’un droit issu d’un traité puisse supplanter les droits d’un pêcheur commercial non autochtone. 

En reconnaissant que le titre ancestral pouvait prévaloir sur une concession en fief simple accordée par la Couronne dans le cadre d’un litige entre celle-ci et les peuples autochtones, le juge Gregory a peut-être posé un jalon important vers la réconciliation. Dans cet esprit, tant les Wolastoqey que le nouveau gouvernement libéral du Nouveau-Brunswick ont reconnu l’importance de la négociation plutôt que du recours aux tribunaux, comme l’a souligné la Cour suprême. De telles ententes sont possibles: les Haïda ont approuvé des ententes sur les titres fonciers avec la Colombie-Britannique et le Canada, qui reconnaissent le titre ancestral sur les terres de Haida Gwaii tout en respectant les intérêts en fief simple. 

Trois propriétaires industriels ont obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick. 

 

 

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry was called to the Ontario Bar in 1981. He was in private practice until 1984 when he joined the Canadian Human Rights Commission as counsel providing legal advice and litigation services, appearing at all levels of court, including the Supreme Court of Canada. In 1989, he was recruited by the Department of Justice. He was General Counsel in the Human Rights Law Section until 2011, specializing in civil Charter social policy advice and equality rights, and interpreting and designing human rights legislation. He was Research Director with the Canadian Human Rights Act Review Panel and a Visiting Scholar at Harvard Law School on a Canada-U.S. Fulbright Scholarship. He publishes extensively on Canadian and comparative constitutional issues and has lectured in Canada, Spain, South Africa, the United States, and Hong Kong. He taught Constitutional Law and Charter at the University of Ottawa, Faculty of Law and currently co-teaches a course on “Writing for Social Justice.” He designed and presented lecture series on the Charter, International Human Rights and Aboriginal Rights at Carleton University. He was the Editor in Chief of the Federated Press Charter and Human Rights Litigation journal from 1993 to 2016. He was founding Editor in Chief of the PKI Global Justice Journal, now published by Queen’s Law (2017 to 2022).