Un nouveau regard sur le rôle des traités en matière de réconciliation

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mercredi, 17 juillet 2024
Publié dans Dernières nouvelles

Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.

Texte original en anglais


Nouvelle clarification sur la réconciliation par voie de traité

Deux affaires récentes de la Cour suprême du Canada tentent de faire progresser l’objectif fondamental du droit moderne des droits issus de traités : la réconciliation des intérêts des peuples autochtones et non autochtones. Ces deux affaires montrent que la conclusion de traités de nation à nation se déroule dans le cadre de la Constitution canadienne.

La Cour a observé que les traités concilient la souveraineté autochtone préexistante avec la souveraineté supposée de la Couronne et définissent les droits ancestraux de l’article 35. La Cour a expliqué dans l’affaire Little Salmon que les traités historiques visent à réconcilier les habitants autochtones avec l’affirmation de la souveraineté européenne sur les territoires traditionnels de colonisation et de peuplement des Premières Nations, tandis que les traités globaux modernes impliquent de longues négociations entre des parties bien dotées en ressources et sophistiquées visant à définir des droits et obligations précises en matière de propriété et de gouvernance.

Les traités modernes ressemblent davantage à une réconciliation de nation à nation.

Les motifs unanimes de la juge O’Bonsawin dans l’affaire Shot Both Sides affirment la nature des traités comme créant des obligations juridiques sacrées et exécutoires en common law. Elle résume la réaffirmation par la Cour d’appel fédérale des décisions de la Cour suprême selon lesquelles les traités conclus avec les Premières Nations ne sont pas des accords internationaux entre États souverains, mais un développement de nation à nation au sein d’un État souverain. L’examen très approfondi par le juge de première instance des preuves contextuelles de l’évolution de la réserve des Blood au 19e siècle montre le caractère unilatéral du processus historique des traités et la fausse représentation par la Couronne de l’adéquation de la quantité de terres données à la nation des Blood en vertu du traité n° 7. Cependant, comme la violation a pu être découverte en 1971, avant l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la juge O’Bonsawin convient que la Limitations of Actions Act de l’Alberta met fin à la force exécutoire.

Cependant, la juge O’Bonsawin note que l’acceptation par la Cour de cet effet prépondérant sur les traités n’a jamais fait l’objet d’un examen en vertu de l’article 35. Elle déclare que la Couronne a gravement violé le traité sur la base de l’effet pratique d’une déclaration faisant progresser la réconciliation en dehors de la salle d’audience, rétablissant les relations de nation à nation et l’honneur de la Couronne.

L’affaire Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation concerne une plainte pour discrimination fondée sur la Charte à l’encontre d’une clause de la Constitution des Vuntut en vertu d’un traité moderne, conclu dans le cadre d’une cascade d’accords et de lois fédérales et territoriales et d’une histoire d’autonomie gouvernementale qui remonte à des temps immémoriaux. Cette clause exige qu’un conseiller réside sur le territoire vuntut. M. Dickson voulait être conseiller, mais il vivait, travaillait et s’occupait d’un enfant handicapé à Whitehorse, loin des terres vuntut.

Vuntut présente les questions devant la Cour en soutenant que la Charte ne s’applique pas à eux ou que l’obligation de résidence est protégée par la disposition de non-dérogation de l’article 25 de la Charte pour les droits ancestraux, issu de traités ou autres.

La Charte s’applique : article 32

Le principal effet de la décision sur la forme de la réconciliation est peut-être le fait que la Cour a jugé que la Charte s’appliquait à la restriction de la résidence des Vuntut.

La majorité interprète l’article 32 de façon très large, citant des cas où la Cour craint que le Parlement et les législatures et gouvernements provinciaux/territoriaux nommés aux art. 32 et 30 pourraient tenter de se soustraire à leurs engagements en vertu de la Charte en donnant à d’autres institutions le pouvoir d’agir en leur nom dans les domaines relevant de leur compétence constitutionnelle. Ces institutions peuvent être des « gouvernements » de deux façons. Premièrement, les Vuntut ont un « gouvernement par nature » en raison de leurs pouvoirs électoraux, fiscaux et législatifs, qui sont, du moins en partie, régis par les lois de mise en œuvre fédérales et territoriales, dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir légal en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Deuxièmement, le pouvoir coercitif de Vuntut de légiférer est une « activité gouvernementale » aux fins de la Charte. Après avoir contourné de façon très complexe la question de la conciliation de la législation fédérale avec l’autonomie gouvernementale autochtone inhérente, la majorité ne décide pas si la Charte s’applique à l’exercice d’un droit inhérent non lié à la législation fédérale, probablement parce qu’elle note que la Cour n’a pas encore reconnu de droit autochtone à l’autonomie gouvernementale.

Les juges Martin et O’Bonsawin conviennent que la Charte s’applique parce qu’elle a été conçue pour remédier à un déséquilibre des pouvoirs entre le gouvernement et les gouvernés et que le pouvoir législatif coercitif du Vuntut en fait un gouvernement par nature. Ils ne sont pas d’accord avec la théorie selon laquelle les gouvernements autochtones sont issus, même en partie, de l’autorisation du Parlement, ce qui pourrait entraver la reconnaissance adéquate d’un droit inhérent à l’avenir. Les gouvernements autochtones devraient simplement être reconnus comme exerçant des pouvoirs dans des domaines relevant de l’autorité du Parlement et des gouvernements provinciaux et territoriaux soumis à la Charte.

Le juge Rowe s’en est tenu au texte de l’article 32, selon lequel la Charte ne s’appliquait qu’aux gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux et non à Vuntut, arguant que le fait de s’en tenir au texte favorisait la réconciliation en permettant aux peuples autochtones de choisir les droits que leurs gouvernements étaient tenus de respecter.

La Charte s’applique : article 25

La majorité estime que les propres limites de l’application de la Charte à l’article 25 protègent les droits collectifs essentiels à « la différence culturelle, à l’occupation antérieure, à la souveraineté antérieure ou encore à la participation au processus de négociation des traités » contre les droits individuels garantis par la Charte. La majorité estime que l’obligation de résidence était un « autre droit » aux fins de l’article 25 parce qu’elle visait à protéger la différence autochtone Vuntut.

Cela favorise la réconciliation.

Dans quelle mesure la limite imposée par l’article 25 aux droits individuels garantis par la Charte qui « abrogent les droits collectifs autochtones ou y dérogent » est-elle absolue ? Le cadre de la Cour exige que le demandeur démontre une violation prima facie de la Charte et, dans l’affirmative, le gouvernement autochtone doit prouver l’existence d’un droit autochtone, d’un traité ou d’un autre droit qui protège la différence autochtone. L’article 25 ne sert de bouclier que lorsqu’il existe un conflit irréconciliable et non trivial entre le droit du demandeur et celui de la collectivité autochtone, ne cédant qu’aux articles 28 et 35(4) qui garantissent des droits égaux à l’un ou l’autre sexe. Si l’article 25 ne s’applique pas, le gouvernement autochtone peut prouver une justification en vertu de l’article 1.

Les juges concordants ont estimé que l’article 25 devait être interprété de manière souple, en mettant l’accent sur la nécessité d’une loi pour l’identité collective autochtone, plutôt que de manière littérale, afin de ne pas empêcher un membre de déposer une plainte individuelle simplement parce qu’il conteste l’exercice d’un pouvoir dans le cadre d’un accord d’autonomie gouvernementale. Les gouvernements seront les gouvernements, surtout en matière d’égalité des sexes.

Conclusion

La majorité conclut que Mme Dickson a établi son cas prima facie de discrimination parce qu’elle a été privée de participation politique sur la base du motif immuable de l’appartenance à une communauté autochtone autonome en tant que non-résidente. Toutefois, l’article 25 prime en raison d’un conflit irréconciliable avec le droit collectif des Vuntut à ce que les membres de leur gouvernement résident sur leur territoire traditionnel, source de leurs lois et de leurs traditions de gouvernement. Sa plainte pour discrimination est rejetée.

Les juges concordants estiment que l’obligation de résidence était un règlement interne des Vuntut qui ne visait pas à reconnaître le statut spécial des collectivités autochtones et qu’elle ne bénéficiait donc pas de la protection de l’article 25. Les Vuntut ne parviennent pas à prouver une justification au titre de l’article 1, en raison de l’absence d’atteinte minimale aux droits de la requérante et parce que l’intérêt collectif ne l’emporte pas sur son droit, étant donné qu’elle et d’autres personnes doivent vivre à l’écart en raison des politiques coloniales et assimilationnistes.

Dans ces affaires, la Cour offre une définition considérable de la réconciliation par traité. Comment décidera-t-elle de l’application de la Charte à un gouvernement autochtone exerçant seul l’autorité inhérente à l’autonomie gouvernementale ? 


***Ceci ne constitue en aucun cas un avis juridique

À propos de l'auteur

James Hendry

James Hendry

James Hendry a été rédacteur en chef de la revue Federated Press Charter and Human Rights Litigation de 1993 à 2016. De 2017 à 2022, il a également été rédacteur en chef et fondateur du PKI Global Justice Journal, publié aujourd'hui par la faculté de droit de l'Université Queen's.