Les préjugés et les lois interdisant la discrimination
Ce billet fait partie d’une série de blogues sur les «décisions de la CSC et plus encore» rédigés par notre collaborateur James Hendry. Pour lire les autres billets, cliquez ici.
La Cour suprême du Canada a reconnu que les suppositions, les préjugés, l’ignorance et les idées préconçues concernant les traits personnels ont historiquement déterminé la répartition d’importants et nombreux avantages publics et privés. Il en a résulté des désavantages injustifiables pour les membres de certains groupes défavorisés (par exemple, ici, paragraphes 25-40).
L’article 15 de la Charte et la législation anti-discrimination de chaque province et territoire visent à enrayer la discrimination. Nous retrouvons ce même objectif dans l’ensemble du système de justice. La Cour a établi qu’une convention collective a une dimension publique, ce qui fait que les droits des parties sont assujettis à la législation anti-discrimination (ici). Cet objectif s’étend également aux praticiens du droit. Le Code type de déontologie professionnelle élaboré par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada suggère qu’un code de déontologie devrait interdire aux avocats de faire preuve de discrimination à l’égard de toute personne (ici la règle 6.3).
Les lois destinées à enrayer la discrimination atteindront leur objectif dans la mesure où leurs exigences en matière de preuve sont suffisamment sensibles pour l’exposer et y remédier. L’efficacité de ces protections dépend en partie du fait qu’elles visent l’intention discriminatoire ou ses effets. L’exploration des préjugés et des partis pris motivant une décision discriminatoire serait difficile à prouver et se prête davantage à punir le prétendu discriminateur. La preuve des effets d’une décision sur les membres d’un groupe sur la base de traits communs serait plus facile à recueillir. Elle démontrerait si la décision était fondée sur des caractéristiques immuables qui sont souvent issues de stéréotypes subjectifs et non sur le mérite (ici, paragraphe 13, ici, paragraphes 61-7). Ces modèles historiques de discrimination auront un contexte historique de préjugés et de biais cognitifs.
Dans deux affaires relativement récentes la Cour a considérablement étendu l’efficacité potentielle des lois anti-discrimination en définissant les bases de la discrimination fondée sur la preuve. La question qui se posait à la Cour était de savoir si la législation anti-discrimination devait se concentrer sur l’intention de la personne présumée avoir exercé une discrimination illégale ou sur l’effet de cette décision sur la ou les personnes affectées négativement par celle-ci. La Cour a décidé qu’elle devait se concentrer sur les effets des décisions privées et publiques sur les membres des groupes protégés (ici et ici). Les preuves les plus pertinentes concerneraient les effets des décisions qui ont affecté négativement des personnes sur la base de leurs caractéristiques personnelles. Cela a permis d’éviter les connotations morales de devoir prouver l’intention malveillante et d’étendre la protection aux répercussions imprévues sur les groupes défavorisés (voir ici à la page 1135).
Ces décisions ont établi qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’intention de discriminer. Cependant, des politiques et des décisions apparemment neutres peuvent également être discriminatoires, ce qui peut être étayé par des preuves exposant les biais cognitifs et les préjugés qui les sous-tendent. Un préjugé omniprésent peut être ancré dans le processus décisionnel du gouvernement, du prestataire de services ou de l’employeur, révélant une discrimination systémique. Dans une affaire, le chemin de fer CN avait effectué un examen de ses pratiques en matière d’emploi des femmes, déposé en preuve dans un contexte de plainte de discrimination sexuelle concernant les embauches disproportionnellement faibles de femmes dans les emplois de manœuvres de premier échelon, par rapport aux hommes. Le rapport a inventorié les attitudes sexistes dans toute l’entreprise, ancrées dans les politiques d’embauche et les actions connexes, expliquant le faible nombre de femmes embauchées pour des emplois non traditionnels. La Cour a confirmé la mesure de réparation d’action positive ordonnée par le tribunal des droits de la personne (ici).
Des présomptions discriminatoires pourraient également être mises en lumière dans les justifications offertes dans le cadre de décisions contestées. La justification en vertu de la législation anti-discrimination et de la Charte vise l’objectivité (législation anti-discrimination ici, à la page 208, Charte voir ici, paragraphe 36).
Les réparations pour discrimination en vertu de la loi comprenaient des programmes visant à contester et à décourager les pratiques et attitudes subjectives négatives et à éliminer les conditions indésirables (voir ici, page 1139 et suivantes, et ici, paragraphe 15).
La Cour a décidé en 1989 que la protection constitutionnelle contre la discrimination dans les actions gouvernementales porterait également sur les effets négatifs sur les groupes vulnérables dont les caractéristiques personnelles sont protégées par l’article 15 de la Charte (ici). Ainsi, une étude de ces préjugés et biais cognitifs permettrait d’expliquer une grande partie de la discrimination et de rendre les mesures correctrices plus efficaces (voir ici, paragraphe 57). Toutefois, même si les motifs de ces décisions biaisées ne sont pas connus avec précision, des disparités statistiques et historiques importantes dans l’attribution d’avantages et de responsabilités aux membres de groupes ayant des caractéristiques personnelles communes montreront qu’un ou plusieurs membres d’un groupe protégé ont été traités de manière contraire à leurs situation et besoins réels (voir ici, paragraphe 62-3).
Contrairement à l’approche canadienne, la Cour suprême des États-Unis a décidé qu’il est nécessaire de faire la preuve de l’intention discriminatoire en vue de démontrer une violation des droits constitutionnels à l’égalité. La Cour a estimé que le fait de conclure à une violation sur la base de la preuve d’effets préjudiciables («disparate impact» aux États-Unis) pourrait avoir pour résultat que trop de lois devraient être soumises un examen minutieux (ici, paragraphe 21). Seules quelques lois protectrices, comme la loi sur les droits civils, peuvent être prouvées par la preuve d’effets disproportionnés d’une politique «facialement neutre» sur un groupe vulnérable (ici). Diverses ONG tentent d’obtenir des tribunaux qu’ils étendent l’approche fondée sur les effets pour l’étude de la discrimination (ici).
Au Canada, en raison de l’omniprésence des mesures interdisant la discrimination, l’élimination de la discrimination, directe et par effet préjudiciable, fait partie intégrante de la structure éthique de la règle de droit. Cela indique aussi que pour que la loi devienne plus sensible, il faudrait mener une étude plus approfondie des préjugés et des biais cognitifs de ceux et celles qui prennent des décisions concernant la répartition des avantages publics et privés.
***Ceci ne constitue en aucun cas un avis juridique