Intelligence artificielle et processus décisionnels

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mercredi, 12 juin 2019
Publié dans Dernières nouvelles

Obsolète. C’est le seul mot qui me venait à l’esprit en écoutant la présentation. Si j’adhérais à tout ce que disait le conférencier, moi, adjudicatrice au sein d’un tribunal administratif, j’allais devenir tout simplement inutile.

Il était venu exposer comment son nouvel algorithme allait révolutionner le monde de la justice. Il promettait un résultat plus juste parce qu’exempt des tares humaines. Son système n’avait pas d’émotions, pas d’empathie, pas de genre, pas de couleur. Il n’était que rationalité et méthodes éprouvées.

Pourtant quelque chose sonnait faux. J’avais le sentiment — oui, le sentiment, cette chose non rationnelle — que quelque chose clochait.

J’ai alors pris une décision. J’allais m’ouvrir les yeux, et m’ouvrir l’esprit. Moi, qui m’intéresse de façon très accessoire aux technologies — je blague souvent en disant que mon téléphone est plus intelligent que moi —, j’allais vraiment essayer de comprendre.

Et c’est ainsi que je me suis mise à m’intéresser à l’intelligence artificielle et à ses applications dans le monde juridique.

Au cours de ce périple, qui aura duré un an, j’ai découvert de beaux projets concrets. Certains faciliteront l’accès à la justice au moyen de «chatbots» (ou dialogueurs ), soit des robots logiciels qui peuvent dialoguer avec un individu par l’intermédiaire de conversations automatisées et ainsi le guider dans son parcours judiciaire.

J’ai aussi entrevu des regroupements d’un nombre incalculable de décisions qui tisseront un portrait inédit du traitement d’un paramètre précis par les décideurs.

Mais je me suis inquiétée lorsqu’on m’a parlé de justice prédictive, dont l’analyse de risques de récidives, en matière criminelle, qui se fonde sur un bassin de décisions passées désincarnées de leur contexte social.

J’ai aussi sourcillé lorsqu’on m’a expliqué l’égalité comme un traitement aveugle et uniforme de toutes les situations. Je n’ai pas entendu parler d’équité.

J’ai retenu que l’informatique n’est pas une discipline qui vise la diversité et la nuance. Au contraire, elle affectionne la standardisation. C’est pourquoi il est grand temps que les spécialistes du «ça dépend» entrent en scène. Oui, vous et moi, les juristes.

C’est la façon dont elle est programmée qui fait en sorte que l’intelligence artificielle est efficace ou qu’elle ne l’est pas. Et encore là, tout dépend de ce que l’on entend par efficacité. En matière d’intelligence artificielle et de processus décisionnels, on ne peut pas laisser le développement de la programmation entièrement entre les mains des informaticiens et de la communauté d’affaires. Ce n’est pas qu’ils sont mal intentionnés, c’est tout simplement qu’ils conçoivent les enjeux autrement et que leurs intérêts sont ailleurs.

Alors, allez, venez discuter de ce sujet fascinant au cours de la 44e conférence annuelle de l’Institut canadien d’administration de la justice. Plein de juristes, en chair et en os, vous feront part de leurs réflexions. Vous allez y prendre goût, je vous le promets !

À propos de l'auteur

M<sup>e</sup> Mélanie Raymond

Me Mélanie Raymond

Avocate, détentrice d’une maîtrise en communication et d’une formation de cycle supérieur en prévention et règlement des différends, Me Mélanie Raymond a pratiqué le droit en cabinet privé et au sein de la fonction publique fédérale. Elle sa participé à la réalisation d’études d’impacts sociaux de projets d’entreprises à l’étranger. Elle a supervisé et rédigé une myriade d’articles sur l’industrie et les innovations juridiques.