Équité, principes et normes de révision : où en sommes-nous?
Retour sur la Table ronde nationale de l’ICAJ sur le droit administratif : « Voici les principes. Ils ne vous plaisent pas? En voilà d’autres. » ( 27 mai 2017, Vancouver)
Chaque année, l’Institut canadien d’administration de la justice organise une table ronde sur le droit administratif où l’on traite de problèmes apparemment insolubles. Ces tables rondes sont stimulantes et permettent à ceux qui y participent d’approfondir leurs connaissances de diverses manières. L’événement de cette année n’a pas fait exception à la règle. Comme le titre quelque peu sarcastique de la conférence le laisse entendre, il est important d’aborder les particularités du droit administratif avec une pointe d’humour.
Au fil des discussions, et ce dès le discours d’ouverture du juge James O’Reilly de la Cour fédérale, nous avons tenté de déterminer si l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [2008] 1 RCS a permis d’approfondir notre connaissance de la révision judiciaire. Me Robert Danay, avocat-conseil principal au ministère de la Justice du Canada, a mené une fascinante étude empirique sur le sujet, publiée en anglais sous le titre « Quantifying Dunsmuir: An Empirical analysis of the Supreme Court of Canada’s jurisprudence on Standard of Review ». Il y observe que depuis l’arrêt Dunsmuir, la cour semble accorder une plus grande déférence aux décideurs administratifs. Cependant, les opinions divergent encore en ce qui concerne les normes de révision. Et, pour reprendre les termes de M. Danay, il y a toujours cet « éternel conflit, à savoir qui aura le dernier mot, du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif ou du tribunal administratif ».
S’il devait demeurer un doute selon lequel « l’équité » continue d’être extrêmement variable, il fut totalement dissipé à l’étude des cas récents sous l’angle de l’équité procédurale et du droit d’être entendu. Lors d’une présentation très instructive, Me Simon Turmel, régisseur à la Régie de l’énergie du Québec, a fait état de la jurisprudence récente sur l’équité sous différents aspects, soit le devoir de notification, l’obligation de divulguer les informations pertinentes, le devoir d’examiner tous les éléments de preuve pertinents, le devoir de la cour et des personnes qui se représentent seules, le devoir d’entendre la cause avant d’en décider, l’obligation d’entendre une requête en irrecevabilité avant de procéder à l’examen du fond de l’affaire, le droit d’être représenté par un avocat et le devoir de la cour de motiver sa décision.
J’ai beaucoup apprécié l’échange de points de vue sur ce que le dossier de révision doit contenir. Un panel constitué d’avocats en pratique privée, d’experts et de représentants des tribunaux a attiré notre attention sur l’impact du droit administratif sur le terrain et l’importance d’aborder la question sous différents angles. Me Lauren J. Wihak et Me Benjamin J. Oliphant, associés chez Gall Legge Grant & Munroe LLP, ont amorcé la discussion en proposant d’élargir notre compréhension de ce qui constitue le dossier (lire leur article, publié récemment en anglais et intitulé « Evidentiary Rules in a Post-Dunsmuir World: Modernizing the Scope of Admissible Evidence on Judicial Review »).
Pour sa part, M. Bob Nakagawa, registraire au Collège des pharmaciens de la Colombie-Britannique, a énoncé les prémisses pouvant mener à la création d’un organisme expert, en tenant compte de certains facteurs, dont le risque et le mandat. Me Catherine Ebbs, présidente de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (fédérale), a ensuite abordé les principes fondamentaux en allant au cœur des règles relatives au dossier de révision, tout en considérant les exceptions à ces règles et les cas où il peut être difficile de les appliquer.
La possibilité de réfléchir à divers sujets par le biais d’une table ronde qui rassemblait à la fois des membres de la magistrature et des tribunaux, divers acteurs du système et des intervenants d’autres horizons constituait une excellente façon d’approfondir encore davantage nos connaissances. Grâce à cette formule, un dialogue a pu s’engager entre tous les participants. Félicitations à la professeure Sheila Wildeman, de la Schulich School of Law (Dalhousie) pour son exposé du contexte et ses hypothèses. Son intervention a sans nul doute contribué au grand succès de cette journée.
C’est avec franchise que l’honorable Thomas Cromwell, qui a pris sa retraite de la Cour suprême du Canada, nous a fait part de ses réflexions sur Dunsmuir, entre autres. Il a remis en question le postulat selon lequel les mêmes tests et les mêmes principes peuvent s’appliquer indifféremment à tous les tribunaux. Après avoir travaillé en droit administratif au fédéral et au provincial pendant un certain temps, ses réflexions m’ont permis de mieux comprendre un terme entendu il y a de nombreuses années dans le secteur public : l’horizontalité asymétrique. Les tribunaux s’inscrivent peut-être dans le continuum des organismes publics, mais cela ne les empêche pas d’afficher de nombreuses différences avec ces derniers, compte tenu de leurs mandats respectifs.
On dit que le droit administratif n’est pas fait pour les « âmes sensibles ». À première vue, ses règles peuvent paraître si souples qu’elles en deviennent difficiles à cerner et potentiellement difficiles à appliquer. Néanmoins, l’ICAJ fait preuve de courage en organisant ces forums de discussion avec des experts de haut niveau, sur des sujets qui comportent tant de matière à réflexion. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance d’y participer cette année, je vous encourage ardemment à le faire l’année prochaine! C’est donc un rendez-vous à Ottawa, le 2 juin 2018.